Interview : Thomas Weill

Interview : Thomas Weill

Comment avez-vous connu le prix et décidé de candidater ? Quelle a été votre réaction lorsque vous avez su que vous étiez sélectionné ?

J’ai appris ma sélection dans un contexte particulier : ma maison d’édition venait d’annoncer sa fermeture. Un autre auteur de cette maison avait remporté le prix, c’était même ce qui m’avait incité à tenter ma chance, mais l’annonce de la fermeture rebattait les cartes. J’ignorais si je devais chercher une autre maison pour Les Eaux du Temps ou l’autoéditer. Au final, c’est la sélection au PAI qui m’a décidé pour l’autoédition, c’était la bonne nouvelle qui contrebalançait celle de la fermeture.

Les Eaux du Temps est votre premier roman. Comment s’est fait votre chemin jusqu’à l’écriture ?

En réalité, il s’agit de mon premier roman publié, mais j’en avais écrit un autre avant, comme beaucoup d’auteurs ou d’autrices j’imagine. Ça fait des années que j’écris, même si j’ai beaucoup plus de débuts que de fins à mon actif. Gamin, je m’étais promis que je publierais un bouquin un jour. Je lisais beaucoup, j’étais tombé amoureux de la Terre du Milieu de Tolkien et du Poudlard de J. K. Rowling, ça nourrissait mon imaginaire. J’imagine qu’on abandonne souvent ses promesses d’enfant, mais je suis content d’avoir tenu celle-là. Dès la sixième, au collège, je m’amusais parfois à écrire des histoires pendant la récréation — je vous rassure, j’allais aussi jouer avec mes amis ! Je n’ai jamais fini ces histoires, pas plus que les fanfictions entamées quand j’étais au lycée ou que le projet de roman que j’avais pendant mes études, mais l’écriture m’a toujours accompagné. C’est d’ailleurs aussi par amour pour l’écriture que je suis devenu journaliste.

Depuis quelques années, j’ai commencé à écrire de manière plus sérieuse, avec la ferme intention d’aller au bout d’un projet cette fois-ci. Pendant des mois, j’ai écrit le matin avant d’aller au travail, le soir après être rentré, jusqu’à finir un premier jet et même le corriger en partie. Mais tout ce processus avait duré tellement de temps que mon écriture avait trop évolué et je ne me retrouvais plus tout à fait dans les pages que je retravaillais. J’aime à croire que je reprendrai ce manuscrit, définitivement cette fois, quand je sentirai que j’aurai assez d’expérience et de maturité pour aller au bout sans m’empêtrer dans ce que j’ai déjà écrit, mais je n’en suis pas encore tout à fait là. Quoi qu’il en soit, toutes ces tentatives, ces projets plus ou moins aboutis, m’ont permis de progresser en écriture et de mieux me connaître. Je ne pense pas que cet apprentissage soit jamais vraiment fini, mais ces expériences m’ont aidé pour écrire Les Eaux du Temps.

Préparez-vous beaucoup vos histoires ?

J’aime bien me dire que je suis un « architecte », c’est-à-dire un auteur qui prépare beaucoup ses histoires, leur structure, leurs personnages, avant de se lancer dans l’écriture, mais ce n’est pas vraiment le cas. Je pense que ça me rassure d’avoir l’impression que la partie consciente de mon esprit garde le contrôle, mais il faut savoir se regarder en face : j’écris beaucoup à l’instinct, c’est comme ça que j’arrive le mieux à faire émerger une histoire. J’ai essayé de préparer au maximum un autre roman, j’ai multiplié les méthodes, les fiches, les synopsis, etc., et au final, je me suis embourbé dans toute cette préparation, et les passages qui fonctionnaient le mieux étaient ceux que je n’avais pas prévu d’écrire.

Vous écrivez sur papier, sur ordinateur ? En musique ?

J’écris exclusivement sur ordinateur, c’est beaucoup plus rapide. J’ai essayé d’écrire sur papier, mais je ne parviens pas à faire coïncider le rythme de mon stylo et celui de mes idées. J’ai besoin de terminer des phrases pour pouvoir les juger. En les écrivant au stylo, je n’ai pas le temps de finir d’en rédiger une qu’elle est déjà chassée par une autre, et je trouve ça assez paralysant. L’écriture pour moi est un processus de répétition, on essaie, on efface, on réessaie, on réefface, on retravaille, chose qui me paraît plus aisée sur ordinateur que sur un brouillon manuscrit. Je n’ai pas l’amour du papier qu’ont certaines autrices ou certains auteurs qui murissent leurs mots à mesure qu’ils tracent les lettres. Je pense que j’en viendrais à rayer des pages entières sans être plus avancé. Au moins à l’ordinateur, ce qui ne marche pas disparaît et n’encombre plus ma page, sans avoir pris des heures à être écrit.

J’écris plutôt en musique par ailleurs, uniquement des musiques sans paroles. Cela monopolise la partie de mon cerveau qui a tendance à papillonner, sans pour autant l’empêcher de réfléchir à la tâche à accomplir. Ce n’est pas efficace 100% du temps, mais souvent j’y trouve un bon équilibre pour me concentrer. Si j’ai la chance de me trouver dans un état d’esprit très créatif où les mots et les idées s’assemblent toutes seules, la musique va même me porter encore plus loin.

Comment avez-vous eu l’idée des Eaux du Temps justement, et quel a été votre processus d’écriture pour ce roman ?

Les Eaux du Temps, ça a été un défi que je me suis lancé à moi-même. J’avais quitté un emploi après un burnout quelques mois plus tôt, et je m’interrogeais sur mon avenir professionnel. Je voulais écrire, mais la précarité du milieu me freinait beaucoup alors j’hésitais à me lancer franchement. Un ami m’a parlé d’un concours de premier roman organisé par Folio SF avec une date butoir quatre mois plus tard. L’idée paraissait un peu folle, je partais de zéro, mais je me suis dit que même si je n’arrivais pas à tenir ces délais, le concours m’aiderait à avancer plus vite sur un nouveau manuscrit que je pourrais toujours soumettre à des maisons d’édition par la suite. Je pense qu’il s’agissait aussi d’une manière de me mettre à l’épreuve pendant une période de grands questionnements, de tester ma capacité à travailler par moi-même et à être efficace, de mesurer ma résolution aussi.

J’ai réfléchi au thème du concours, j’ai listé plusieurs idées d’histoire, et je me suis lancé sur celle avec laquelle je ressentais le plus d’affinité. Comme je disposais de peu de temps, je devais à la fois préparer mon roman pour pouvoir avancer vite, sans toutefois avoir le luxe de passer des semaines dans cette phase préparatoire. J’ai écrit un synopsis d’une dizaine de pages pour savoir où j’allais, j’ai créé des fiches personnage et univers assez succinctes, et j’ai écrit. Je me levais tôt, alors que je suis plutôt dormeur, et je sautais sur mon clavier jusqu’au soir. Je me sentais entièrement tourné vers cet objectif, chose que je n’avais jamais ressentie avant, et que je n’ai plus éprouvée depuis. Je ne pensais presque qu’à ça le jour et j’en rêvais la nuit. Cette histoire m’habitait. J’ai fini par tenir les délais avec même quelques heures d’avance, comble du luxe. Je n’ai malheureusement pas remporté le concours Folio SF, mais avoir terminé était déjà une victoire, et ça m’a permis de prendre plus de temps pour retravailler le texte et l’affiner par la suite.

 

Dans Les Eaux du Temps, de nombreux lecteurs sont marqués par les rencontres avec les baleines. Avez-vous écrit à partir d’expériences personnelles ?

Non hélas. J’ai eu la chance de voir des baleines à bosse depuis un bateau, mais elles sont assez différentes des gigantesques mammifères marins que je décris dans mon roman, et très placides. Pour m’aider à écrire ces scènes aquatiques, j’écoutais plutôt des vidéos de chant de baleine, cela renforçait mon immersion. Je me suis aussi beaucoup inspiré des vidéos et des écrits de l’apnéiste français Guillaume Néry dont je trouve le travail fascinant. Il donne à voir un univers marin très serein, très onirique.

Ceci étant dit, d’une manière générale, je pense qu’un auteur ou une autrice ne peut que gagner à puiser dans ses expériences de vie pour écrire. Sans dire que j’ai expérimenté exactement tout ce que mes personnages ont vécu bien sûr, j’imagine que beaucoup de choses dans ce roman m’ont été soufflées de près ou de loin par des situations et des émotions que j’ai connues. Cela me paraît de toute façon inévitable, en particulier lorsqu’on débute.

Votre livre est clairement militant, en faveur de l’écologie. La littérature est-elle un moyen de faire passer des messages ?

Faire passer des messages sous-entendrait que j’ai forcément la réponse. Certaines réponses ont du sens pour moi, notamment en matière d’écologie effectivement, qui est l’un des thèmes de mon roman. Je crois qu’il s’agit d’un sujet d’une urgence absolue aujourd’hui, que chacune et chacun doit intégrer dans son quotidien, et qui doit surtout être beaucoup plus pris en compte à un niveau politique et économique, et cette vision des choses est sans doute assez transparente à la lecture de mon livre. Lorsqu’on écrit, on ne peut pas nier qui l’on est, on ne peut pas désavouer le regard que l’on porte sur le monde, c’est lui qui éclaire notre plume, surtout pour des premiers romans. En tout cas, c’est le cas pour moi.

Pour autant, en décrivant deux époques qui se répondent dans leurs excès, j’espère avoir pu nuancer mon propos. Je ne peux pas dire aux gens ce qu’ils et elles doivent penser, je peux simplement les inviter à réfléchir à ce sujet pour se faire ou parfaire leur propre opinion. Si j’ai pu amener certaines personnes à considérer les questions écologiques et économiques sous un angle nouveau, ou si j’ai pu les sensibiliser à ces problématiques, alors cela représente déjà une victoire. La littérature me paraît être un bon médium pour inviter à la réflexion, en particulier la littérature de l’imaginaire qui s’affranchit de la réalité pour se contenter du réalisme et peut proposer dans un cadre nouveau des métaphores puissantes.

Dans votre univers, il est question de voyage dans le temps et d’une magie ancestrale, en quoi est-ce réaliste ?

C’est une question de cohérence interne. Oui, la magie n’existe pas dans notre monde, enfin… À ma connaissance ! Mais si elle existait, si le monde dans lequel évoluait l’humanité différait du nôtre de telle ou telle manière, qu’est-ce que cela changerait dans ce qui permet de faire société ou dans les comportements des gens ? Pour moi, écrire de la fantasy, c’est faire ce pas de côté et essayer d’apporter une réponse réaliste à cette question. Par exemple, une partie de mon histoire se déroule à une époque où les concepts de propriété privée et d’argent n’existent pas, et où les communautés humaines sont régies par des préceptes et une organisation religieuse assez importante. Dans ce cadre-là, existe-t-il une force policière ? Quel est son rôle, sa légitimité ? Cela me paraissait plus cohérent et réaliste d’imaginer pour cette époque une police religieuse qui se rapproche d’une police des mœurs, garante de la foi, plutôt qu’un appareil policier tel qu’on peut le connaître dans nos sociétés aujourd’hui. Ce réalisme se met au service de l’immersion, et in fine va servir à cadrer la réflexion proposée. Il me semble qu’un auteur ou une autrice aura plus de mal à tenir un propos nuancé dans un univers lui-même dépourvu de cohérence interne et de nuances.

Vous revisitez des mythes et légendes d’une façon totalement différente de ce à quoi nous sommes habitués. Comment vous est venue l’idée de ces modifications ?

Difficile de trop en dire sans dévoiler un élément important de l’intrigue, mais d’une manière générale, je crois que les récits nous façonnent. Les mythes et légendes sont les fondations sur lesquelles nous bâtissons nos sociétés, dans lesquelles nous puisons nos valeurs, et à notre tour, nous alimentons ces récits en transformant en histoires ce que nous vivons, ce qui permet aussi de les moderniser. Nous sommes toutes et tous abreuvés de mythes, du berceau au cercueil. Revisiter des mythes revient simplement à relire ces récits à l’aune de notre expérience de vie, et de notre regard. Lorsqu’on s’empare d’un mythe connu pour écrire, on ne peut que s’efforcer de ne pas reproduire consciemment ce qui a déjà été raconté en puisant dans ce qui fait que nous sommes qui nous sommes et pas un autre.

Ainsi que vous l’avez dit, votre roman Les Eaux du Temps a d’abord été édité chez Crin de chimère puis autoédité. Comment avez-vous rencontré votre éditeur ? Qu’apportent un éditeur et une maison d’édition par rapport à l’autoédition ?

J’ai rencontré mon éditrice en salon. Après avoir échangé avec elle sur sa maison d’édition, sa ligne éditoriale, j’ai pensé que mon roman pouvait y trouver une place et comme elle acceptait les soumissions de manuscrits, je lui ai envoyé le mien.

 

Concernant la deuxième partie de votre question, il est difficile pour moi de répondre puisqu’en un sens, mon expérience en matière d’édition comme d’autoédition reste tronquée. Ma maison d’édition a malheureusement fermé ses portes moins d’un an après la sortie de mon roman, et je l’ai autoédité alors qu’il avait déjà connu une parution. Mais d’une manière générale, l’édition apporte une expertise métier et une trésorerie qu’une autrice ou un auteur autoédité aura plus de mal à acquérir. À l’inverse, l’autoédition apporte une grande liberté. Les deux formules ont des avantages.

Comment faites-vous pour être un peu moins inconnu ?

Je réponds à vos questions pardi ! Plus sérieusement, j’ai essayé de faire des efforts de communication sur les réseaux sociaux, mais je dois reconnaître avoir un peu désinvesti mes comptes ces derniers temps. Je trouve cela difficile d’assurer une présence régulière et pertinente à la fois sur les réseaux, surtout dans un milieu aussi concurrentiel que la littérature. Me conformer aux règles mouvantes des algorithmes que je ne maîtrise pas, essayer de correspondre aux codes des plateformes et des communautés tout en cherchant à me démarquer, tout cela me prend une quantité de temps et d’énergie importante, alors j’ai décidé de lever un peu le pied pour ne pas m’épuiser à la tâche et manquer de temps pour écrire de nouvelles histoires.

Cela étant, ce n’est heureusement pas le seul moyen d’être un peu moins inconnu. Je travaille par exemple sur l’élaboration d’un site, qui devrait me permettre d’être un peu plus visible en ligne. Il y a un an, j’ai aussi voulu créer un rendez-vous avec une newsletter d’histoires courtes, intitulée Histoires comme ça, qui propose une nouvelle, au sens littéraire, tous les quinze jours. Difficile de fédérer des gens en ne proposant un produit, un roman, que tous les trois, cinq ou dix ans, donc j’avais pensé à ce format pour répondre à cette problématique. Le rythme de publication a été compliqué à tenir donc je pense que ce projet va changer l’année prochaine, mais je laisserai tout de même plusieurs nouvelles en libre accès. Je participe aussi à des appels à textes, et je compte soumettre des nouvelles déjà écrites à des maisons d’édition, puisqu’après tout, publier est encore le meilleur moyen d’être lu. Il faut que je prenne garde à ne pas partir dans tous les sens, et surtout à préserver le plaisir d’écrire, sans quoi rien de tout ceci n’aurait de sens, mais j’ai quelques autres idées en gestation pour essayer d’être un peu moins inconnu.

Dites-nous quand même quelques mots de ces projets d’écriture !

J’en ai trop ! J’ai deux novellas et un roman en cours d’écriture, un projet collectif que j’espère pouvoir mettre en œuvre un jour, toute une ribambelle de nouvelles entamées qui ne demandent qu’à être développées un peu plus, mon tout premier manuscrit que j’évoquais plus tôt que j’aimerais reprendre quand je me sentirai prêt… Le temps et le sens de l’organisation me font plus défaut que les idées !

 

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