Interview : Anne-Sophie Renaudin

Interview : Anne-Sophie Renaudin

Pour introduire l’interview, pouvez-vous dire deux mots sur la manière dont vous avez connu le prix, décidé de candidater, et réagi lorsque vous avez su que vous étiez sélectionnée ?

J’ai découvert Instagram (puis tiktok) juste après la sortie de La Nuit. J’avoue m’y être inscrite uniquement pour permettre sa promotion, puisque c’est sur les réseaux que se joue désormais tout l’avenir d’un roman. En cherchant tous les comptes en lien avec les auteurs et l’édition, je suis tombée sur le vôtre. J’ai tenté ma chance sans trop y croire, j’étais donc un peu choquée en lisant le mail qui me prévenait que j’étais finaliste. J’ai cru que j’avais encore mal compris.

La nuit est votre premier roman. Comment s’est fait votre chemin jusqu’à l’écriture ?

Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours écrit. 

Coucher mes idées et mes émotions sur le papier a toujours été un besoin cathartique aussi naturel que celui de respirer, que ce soit dans un journal intime, des poèmes, des lettres (j’adore les échanges épistolaires avec les personnes qui me sont chères). Même si, à l’époque, je me faisais discrète en raison de mes troubles dys et de mon TDA qui n’ont pas été pris en charge du fait d’une enfance un peu compliquée ponctuée d’un placement à la DDASS. J’avais honte de mes fautes et, ayant de grosses difficultés scolaires, il était inenvisageable pour moi d’écrire un jour un livre publiable ni de m’exposer en public.

J’ai pourtant écrit mon premier roman lorsque j’avais 13 ans, en m’inspirant de ma passion de l’époque pour la criminologie (je n’étais pas encore attirée par le fantastique). Je l’ai gardé pour moi. Il doit traîner dans ma bibliothèque.

Puis je me suis risquée à commencer un autre roman, une fantasy urbaine, durant mes premières années d’études : The Dark Moon, dont je partageais les chapitres en ligne. Je l’avais écrit initialement pour ma petite sœur qui habitait en Angleterre, en essayant de répondre à tout ce qu’elle aimait lire. Une histoire sur mesure, rien que pour elle, comme un lien intime entre nous. Pour qu’elle ait un peu de moi près d’elle, même si nous étions éloignées. Les chapitres ont finalement été partagés par des lectrices en ligne qui étaient tombées dessus par hasard. Leur soutien m’a aidée à prendre suffisamment confiance en moi et en ma plume pour assumer mes textes et ne plus me cacher. Mais les vampires et autres créatures à la mode de cette époque m’ont rapidement lassée, et j’ai abandonné ce premier roman qui manquait, selon moi, de profondeur. Ecrire une histoire sans message fort qui me tienne à cœur ne me stimulait plus.

Avec l’ouverture de mon cabinet de thérapeute et la naissance de mes deux garçons, je n’ai plus trouvé le temps d’écrire pendant quelques années. Lorsque mon deuxième a commencé à faire enfin ses nuits et que mon cerveau a cessé d’être constamment ivre de fatigue, l’histoire de La Nuit a débarqué dans ma tête d’un coup. Clairement inspirée par mes lectures et séries préférées du moment. Un curieux mélange d’ambiance médiévale, avec mon roman préféré : Les Piliers la terre de Ken Follet. Mes préoccupations spirituelles et existentielles de l’époque, nourries par La prophétie des Andes de James Redfield, L’Insoutenable légèreté de l’être de Kundera, et la série Black Mirror ; ainsi que l’univers riche de l’heroic fantasy de Game of Thrones.

Mes deux grandes passions, la psychologie et la philosophie, se sont mariées dans mon esprit pour donner vie à La Nuit.

 

Quel est votre processus d’écriture : autrice architecte ou jardinière ? Papier-crayon ou pas ? Silence ou playlist ?

J’ai surtout écrit la nuit, entre minuit et 4h du matin, lorsque les enfants dormaient. J’ai besoin de ma bulle autistique pour écrire. Soit dans le silence, soit accompagnée de la bande son de Game of Thrones. Toujours sur PC. Seules les « fiches personnages » avec toutes leurs biographies personnelles sont manuscrites sur papier. J’ai un carnet qui décrit l’histoire de chacun, même si ces éléments ne sont pas mentionnés dans le roman. Il n’y a aucun figurant dans La Nuit, chacun a sa propre existence dans mon carnet.

Et lorsque qu’une nouvelle idée ou un dialogue surgit dans ma tête, je me l’envoie à moi-même par SMS.

Quels choix avez-vous faits pour faire remplir à La nuit le programme que vous vous fixez, « tenter de faire aimer l’héroic fantasy à des lecteurs qui n’ont jamais apprécié ce genre » ? 

Pour être honnête, si j’apprécie énormément l’univers de l’heroic fantasy lorsqu’il est adapté à l’écran, c’est un genre que je peine à lire. J’ai beaucoup de mal à ne pas décrocher lorsqu’il y a beaucoup de descriptions des décors. Honte à moi, mais je n’ai d’ailleurs jamais réussi à terminer Tolkien, et j’ai abandonné le trône de fer dès le premier chapitre. J’ai préféré les adaptations. En tant que lectrice, je m’immerge plus facilement dans des descriptions psychologiques et émotionnelles où l’action arrive très vite. Le style d’écriture des dystopies me convient mieux. 

L’atmosphère de l’histoire coche donc certaines cases du genre heroic fantasy medival, mais ne respecte pas les codes habituels du genre. Dans La Nuit, c’est la psychologie des personnages qui est au centre de l’intrigue.

Je dois aussi avouer avoir un peu de mal à ne pas décrocher lorsqu’une histoire se raconte en plus de trois volumes. Initialement, La Nuit est d’ailleurs un one shot sans suite que j’ai été contrainte de couper en deux tomes en raison du nombre de pages (1500). Un auteur inconnu fait déjà peur, alors s’il commence avec un parpaing en premier roman, personne ne se risquera à lui laisser sa chance.

 

Votre roman campe des personnages féminins forts. Avez-vous voulu écrire un texte féministe ?

Oui et non. J’ai souhaité justement gommer les frontières des genres, notamment avec l’un des personnages principaux qui se sent autant femme à certains moments, qu’elle peut se sentir homme à d’autres. Si une simple illusion peut lui donner autant de crédibilité dans les deux rôles, c’est justement pour illustrer que notre identité se définit en fonction de nos propres croyances et préjugés sur nous-mêmes. Je cherchais surtout à mettre en évidence le fait que le reflet que peuvent nous renvoyer les regards d’autrui influence profondément notre identité, parfois même plus que la nature de nos chromosomes.

 

Quel message les dystopies que vous imaginez font-elles passer ?

J’ai tenté d’aborder plusieurs problématiques qui me tiennent à cœur dans La Nuit : 

Notre rapport à la nature et à la spiritualité, avec le Peuple des Aveugles, qui représentent clairement ma vision idéale et utopique d’une humanité débarrassée des injonctions au paraître, sensible aux énergies subtiles et capable de vivre en harmonie avec son environnement.

Avec Rozen et Isore, je me suis surtout penchée sur les enjeux de l’ego qui régissent souvent les rapports humains. Étant thérapeute du couple et de la famille, il était important pour moi de partager mon analyse de ce que je peux observer au quotidien, à mon cabinet ou autour de moi. Les jeux de masque, la dépendance affective et le rapport à soi sont des thèmes récurrents de ce roman, où je tente de tendre un miroir au lecteur sur ses propres liens avec autrui, sous couvert de fiction. Ce n’est pas un roman de développement personnel, mais entre les lignes, j’ai souhaité y distiller des réflexions personnelles de mon regard sur le monde.

Illustration de l'écriture d'un livre

Comment êtes-vous venue à l’auto-édition ? Quels sont les avantages de l’auto-édition par rapport à l’édition traditionnelle, quels sont ses inconvénients ?

Clairement, l’auto-édition n’est pas un choix. Devant les délais de réponse des maisons d’édition et avec ma nature impatiente, je n’ai pas voulu attendre la ménopause pour espérer partager mon travail. Ne sachant pas si ce roman méritait d’être publié, j’ai tenté le crash test de le soumettre à des chroniqueuses littéraires difficiles qui n’aimaient pas ce genre littéraire, en leur demandant d’être sévères et sans pincette. La critique de Livrement_ka m’a convaincue de me battre pour ce roman et d’oser l’auto-édition. Mais si j’avais pu bénéficier de l’aide d’une maison d’édition, je ne m’en serais pas passée. 

 

Comment faites-vous pour être un peu moins inconnue ?

Puisque sur les réseaux, les lecteurs veulent du visuel et du prêt-à-consommer, hein, j’ai tenté de présenter mon roman via une bande annonce « booktrailer » pour susciter la curiosité. Je me suis ruinée à envoyer des services presse à toutes les « influenceuses littéraires » bénéficiant de visibilité qui daignaient répondre à une jeune auteure inconnue (c’est rare, nombreuses ont pris le melon avec leur nombre d’abonnés et leurs partenariats prestigieux avec de grosses ME), en leur proposant de jeter le bouquin si les premiers chapitres ne leur donnaient pas envie d’en lire plus, et de ne pas mâcher leurs mots si la critique était négative. D’après mon expérience, sur 100 chroniqueuses contactées, seules 10% acceptent de répondre sans mépris à un petit auteur (sans lui demander d’argent pour seulement lire le roman). J’avoue que ça m’a un peu découragée, malgré les très belles rencontres que j’ai pu faire, comme avec Cassandra des Livres de Cass. 

Sans les gros moyens et la visibilité dont disposent les grosses maisons d’édition, partager un roman est un vrai parcours du combattant qui, je l’avoue, me donne souvent envie de garder mon travail pour moi. Être auteure auto-éditée coûte cher et demande plus de compétences commerciales que d’écriture. Les réseaux sociaux ont fait du milieu littéraire un endroit où passion et spontanéité n’ont plus leur place et je ne m’y retrouve pas. Pour être honnête, j’ai un peu lâché l’affaire sur la promotion du roman. Je me contenterai de partager sur mon compte lorsque le tome 2 sera totalement corrigé et prêt à sortir du four, mais je n’ai plus envie de perdre autant de temps, d’argent et d’énergie pour le promouvoir. J’aime écrire, pas me vendre.

 

Après ce tome 2, avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?

Oui, vu que je prends souvent des bains (rire). D’autres histoires me sont tombées dessus et j’ai déjà écrit les maquettes dans mon carnet. Mon prochain roman sera en lien avec La Nuit puisque l’histoire se déroule au royaume des Scientistes.

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