Tia Cotant est en lice pour le Prix des Auteurs Inconnus, dans la catégorie « littérature blanche ».
Pour introduire l’interview, pouvez-vous dire deux mots sur la manière dont vous avez connu le prix, décidé de candidater, et réagi lorsque vous avez su que vous étiez sélectionnée ?
J’ai connu le prix des auteurs inconnus par le biais de Facebook, sur un site réservé aux auteurs. J’avais suivi la session de l’année dernière, ne pouvant y participer car aucun de mes romans ne correspondait aux différentes catégories. J’avais trouvé l’initiative intéressante.
J’ai tenté ma chance cette année avec mon dernier roman publié, sans grand espoir car il fait partie de la catégorie littérature blanche tout en étant un livre jeunesse, donc je pensais qu’il ne plairait pas. J’ai tout de même tenté, je ne risquais rien. J’ai été très étonnée et surprise d’apprendre que j’avais été sélectionnée.
C’est parti pour une interview autour de son parcours, de son œuvre, et de Mon petit soldat, son livre en lice !
Vous êtes très jeune, et déjà l’autrice de cinq romans. Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
Je suis une enfant précoce ou HPI. J’ai appris à lire toute seule à l’âge de cinq ans et depuis ce jour, les livres ont pris une place importante dans ma vie. J’étais différente des autres, je n’avais pas les mêmes centres d’intérêts que les enfants de mon âge et avais donc très peu d’amies. Je me suis réfugiée dans la lecture, c’était mon jardin secret, le lieu où je pouvais être moi-même sans me préoccuper des autres.
C’est naturellement que l’écriture est venue par la suite. J’écrivais des petites histoires à mes petits frères, leur confectionnais des livres avec des feuilles de papier pliées. Lorsque je suis entrée au collège, j’ai découvert les rédactions et cet exercice m’a énormément plu. En fin de sixième, j’étais en permanence et je m’ennuyais. J’ai ouvert mon livre de français et j’ai choisi un sujet de rédaction. J’ai écrit, écrit. Lorsque je suis rentrée chez moi, j’ai montré à ma mère et elle a adoré. Je lui ai dit que j’aimerais vraiment que cela soit un livre, que je puisse le tenir dans mes mains. Le livre papier est très important pour moi, j’ai besoin de le toucher, le sentir, le respirer. Je voulais juste un exemplaire pour moi, je ne me suis jamais dit que je pourrai être une auteure et vendre mon roman. Ma mère s’est alors renseignée et nous avons découvert l’autoédition et les plateformes d’impression. De fil en aiguille, mon entourage a voulu avoir son exemplaire. La mairie de Bormes-les-Mimosas a appris que j’avais écrit un livre à 10 ans et m’a demandé de participer à La nuit du livre. Les lecteurs et visiteurs m’ont encouragée et demandé de continuer, ce que j’ai fait. Tous les ans, ils reviennent pour avoir le dernier roman.
Vous écrivez de la littérature jeunesse, en variant les genres mais en conservant une pointe de fantastique. Est-ce que cela correspond à ce que vous aimez lire ? Quelles sont vos sources d’inspiration, de quel·le·s auteur·e·s vous sentez-vous proche ?
J’aime varier les genres car je suis une lectrice qui aime tout. Je peux lire du policier, du fantastique, de l’historique, de la dystopie. Toute histoire m’apporte quelque chose de différent. J’ai commencé par lire tous les romans de Roald Dahl. À 8 ans, ce sont Les misérables et le Journal d’Anne Frank qui ont rejoint ma bibliothèque. Ensuite, j’ai découvert la série Le pays des contes de Chris Colfer que j’ai adoré et bien entendu Harry Potter. Je me tourne effectivement plus facilement vers le fantastique, sans doute car je n’aime pas qu’il y ait de limite à notre imagination. J’aime découvrir de nouveaux univers.
Lorsque j’ai commencé à écrire, je me suis tournée naturellement vers le fantastique car je n’avais que 10 ans, donc j’étais une enfant, bien que très mature, qui aimait la magie, les fées. Pour les deuxième et troisième romans, j’ai eu envie de mettre de moi à l’intérieur. Mon héroïne voyage dans les livres que j’affectionne énormément et cela me permet de faire découvrir aux enfants la vie d’Anne Frank par exemple, pour qu’ils s’ouvrent à cette période de l’histoire et que par la suite, ils aient envie de lire son journal. Ensuite, j’ai écrit une enquête fantastique car j’étais dans ma période « lecture d’enquêtes ». J’aime ne pas me restreindre à un genre littéraire. Mon écriture a suivi mon évolution d’âge tout en gardant cette part de fantastique.
Comment fait-on pour être collégienne puis lycéenne, et autrice ? Comment se passent pour vous les cours de français ?
Cela n’a pas toujours été évident de trouver du temps pour écrire entre les cours et les devoirs à la maison. Je ne me suis jamais imposé de temps d’écriture, je voulais vraiment que cela soit un plaisir et non une contrainte. Je suis auteure par plaisir et non par besoin financier. J’écris principalement pendant les week-ends, les vacances, lorsque j’ai le temps, l’envie et l’inspiration. Le plus compliqué a été l’année de troisième car je devais passer le brevet et l’année de première et terminale à cause du baccalauréat. Il m’est arrivé de créer un paragraphe par semaine comme deux chapitres en une soirée mais en général, il ne me faut pas plus de deux-trois mois pour faire aboutir mon histoire. Ce ne fut pas le cas pour le dernier roman que j’avais débuté en 2019 et après une pause de deux ans, pour mes études, j’ai tout repris et finalisé en deux mois d’été.
J’ai la chance d’être une très bonne élève du fait de ma précocité. Je me suis démarquée dès la sixième en cours de français ; ma passion pour la lecture m’a certainement aidée.
Avez-vous l’intention de faire carrière dans les lettres ? Si oui, de quelle manière ?
Je ne souhaite pas faire carrière dans les lettres et encore moins être auteure à temps complet. Je ne veux pas être forcée d’écrire pour vivre, je veux rester libre de créer ce que je veux plutôt que pour faire plaisir à un public. Je viens d’entrer à la faculté pour suivre une licence en sciences de l’éducation pour ensuite intégrer un Master MEEF et devenir professeur des écoles. Je veux enseigner dans une école maternelle et donner le goût aux enfants dès leur plus jeune âge à la lecture et l’écriture.
Parlez-nous de votre processus d’écriture. Etes-vous une autrice architecte qui planifie tout, ou une autrice jardinière qui se laisse surprendre par sa propre histoire ?
Mon processus d’écriture a été très différent selon mes romans. Le tout premier, Le monde imaginaire, a été écrit sans aucune construction, l’histoire s’est créée d’elle-même au fil de l’écriture et de mon imagination. Pour le tome 1 de La bibliothèque magique, j’ai réfléchi un peu à l’histoire, les points importants, les personnages, mais je n’avais pas de fin en tête. J’ai tendance à me laisser guider par mes envies, mon inspiration. Je pense que c’est dû à mon jeune âge. Lorsque je suis arrivée au dernier chapitre, je n’avais pas du tout envisagé cette fin et celle-ci m’a menée au tome 2. Pour mon quatrième roman, Les enquêtes des jumeaux Riddle, cela a été encore différent étant donné que c’était une enquête. Il a fallu que je réfléchisse au déroulement pour révéler certains indices au bon moment, ne pas en dévoiler trop, et surtout faire réfléchir le lecteur.
Pour le dernier, Mon petit soldat, c’était plus particulier car c’est une fiction historique qui se passe pendant la Seconde Guerre mondiale et qui est basé sur des faits réels. On suit deux personnages avec deux temporalités différentes donc l’enchainement des dates était essentiel. Une partie de l’histoire se passe dans le Vercors : alors pour plus de véracité, avec ma famille, nous avons passé nos vacances d’été là-bas, visité le mémorial de la résistance. Je voulais ressentir ce que mes personnages vivaient, être sur les lieux de mon histoire. L’écriture de ce dernier a mêlé la réflexion avec le laisser-aller. Je ne savais pas où l’histoire finirait.
Le papier et le crayon ont-ils encore une place dans votre travail ?
Je suis plutôt puriste sur la lecture et l’écriture. Le papier est extrêmement important. J’écris sur des feuilles de brouillon, je barre, rajoute des notes. À chaque chapitre terminé, je donne mes feuilles à ma mère qui les tape à l’ordinateur. Depuis le début, elle est avec moi, à me soutenir, m’aider. Elle s’occupait de toute la partie informatique car cela ne m’a jamais attirée. En grandissant, j’ai essayé de créer directement sur ordinateur pour gagner du temps mais je n’étais pas productive donc je suis vite retournée au traditionnel. Je trouve cela compliqué de taper tout en inventant.
Poussons la curiosité encore plus loin… Avez-vous une playlist dédiée à l’écriture ?
Je suis incapable d’écrire en écoutant de la musique.
Parlez-nous de Mon petit soldat. Comment vous est venue l’idée de l’écrire ?
Je suis passionnée par la Seconde Guerre mondiale, la condition des juifs, depuis toute petite. Je déteste l’injustice. Dans mon second roman, mon personnage vivait les derniers instants d’Anne Frank. J’avais envie de plus que cela, je voulais vraiment aborder cette période de l’histoire plus en profondeur. J’habite dans le Sud de la France, non loin d’Aix-en-Provence et avec mes parents, nous avions visité quelques temps auparavant, le Camp des Milles qui fut un camp de concentration. Pendant des vacances en Alsace, nous avions visité le Camp de Struthof.
C’est vrai que votre roman aborde la seconde guerre mondiale sans éviter la question des camps. Votre intérêt vient-il de récits familiaux, ou est-ce un intérêt purement historique, peut-être destiné à inciter votre génération à ne pas oublier ce qui s’est passé ?
Ma mère m’a fait lire des romans qui traitaient de la Seconde Guerre mondiale dès l’âge de huit ans car j’avais besoin de me nourrir d’histoires vraies et que j’ai été une enfant très empathique. Elle-même était très attachée à ces histoires. Mon principal intérêt est que ces atrocités ne se reproduisent plus. En troisième, j’ai lu le roman La Vague de Todd Strasser. Un professeur de lycée y fait une expérience pour démontrer que l’effet de masse fait se rallier des personnes à une cause qui pourtant était contraire à leurs principes, jusqu’à en devenir violents. Ce fut un véritable choc. Je devais faire quelque chose. Au collège et au lycée, on traite de cette période mais on ne parle que très peu de la Résistance. Lorsque je parle avec des ami(e)s du Camps des Milles d’Aix-en-Provence qui est tout proche de chez nous, personne ne le connait et je ne comprends pas que notre passé puisse s’oublier.
Avez-vous fait des lectures sur la seconde guerre mondiale ?
J’ai lu beaucoup de livres sur la Seconde Guerre mondiale et j’ai beaucoup plus appris sur cette période qu’en cours d’histoire-géographie. C’est plus réel, plus poignant. Les visites ont beaucoup compté également, car elles permettent de se faire une idée plus concrète ; j’espère pouvoir me rendre compte un jour par moi-même de l’impression que produit Auschwitz.
Laurène est une jeune fille d’aujourd’hui, elle a votre âge, elle est passionnée d’histoire, mais c’est Marius, le jeune garçon des années 1940 dont nous lisons le journal, qui parle à la première personne. Ecrivez-vous pour mieux vous connaître, ou pour vivre d’autres vies ?
Je pense que ce n’est pour aucune de ces raisons. J’écris pour livrer de ma personne, de mon univers et pour faire découvrir aux lecteurs d’autres romans, histoires et qu’ils puissent réfléchir, aller se documenter s’ils le souhaitent pour en apprendre davantage. L’écriture m’a permis de me livrer telle que je suis et de m’accepter avec mes différences. Elle est arrivée au moment où j’en avais le plus besoin. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi les autres ne m’acceptaient pas comme je suis, ils me trouvaient trop intelligente, dérangeante. Avec mes participations à différents salons littéraires, il a fallu que j’aille au-devant du public, que je leur raconte mon histoire et cela a été libérateur. D’une part, ils appréciaient mes romans mais surtout, ils aimaient l’enfant que j’étais, je n’avais plus à ma cacher de ce que je suis.
Comment êtes-vous venue à l’auto-édition ? Quels sont les avantages de l’auto-édition par rapport à l’édition traditionnelle, quels sont ses inconvénients ?
Je suis venue à l’autoédition par hasard, pour recevoir chez moi un exemplaire de mon premier roman sans vouloir en faire autre chose. Au début, cela n’a pas été par choix car on ne va pas se mentir, le monde de l’édition est compliqué, et il ne me serait jamais venu à l’idée d’envoyer mes manuscrits à un éditeur. L’avantage de l’autoédition est la liberté. Liberté de créer sa propre couverture, de fixer son prix de vente (car je veux absolument que le prix ne soit pas un frein à l’achat du lecteur. Tout le monde devrait avoir accès à la lecture, surtout ceux qui ont des petits revenus). Je ne voulais pas me sentir obligée d’écrire d’une certaine manière pour faire plaisir à l’éditeur.
Mais l’inconvénient dans tout cela, c’est la promotion, la communication. Depuis le début, ma mère s’occupait de tout ça et cela lui demandait beaucoup de temps et ce n’est pas quelque chose qu’elle aimait. Autant elle prenait du plaisir à créer mes couvertures, autant la promotion était une punition pour elle.
Pour mes deuxième et troisième romans, un éditeur m’a publiée. J’étais ravie et fière. Cela officialisait mon travail d’auteure, le rendait plus crédible à mes yeux. Mais cela a été une très mauvaise expérience. Ils ont repris la couverture et en ont fait quelque chose qui ne correspondait pas du tout à l’histoire. Les illustrations à l’intérieur ont été refaites par une artiste dont les choix m’évoquaient les dessins d’un enfant de primaire, ce qui ne me convenait pas du tout. Ils ont fixé un prix bien trop cher pour être accessible. Et pour couronner le tout, aucune communication n’a été faite de leur part. Nous pensions qu’ils nous aideraient à trouver des salons littéraires. Rien. Par chance, la maison d’édition a fermé et j’ai pu récupérer mes droits et ma liberté. Je ne souhaite plus être éditée dans ces conditions-là, quitte à ne pas avoir de visibilité.
Comment faites-vous pour être un peu moins inconnue ?
Ma mère m’a passé le relais, maintenant que j’ai accès aux réseaux sociaux. Je partage des publications, stories sur mon actualité littéraire, mais je ne pense pas être très douée pour attirer du monde. Je n’ai pas le temps nécessaire.
Avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?
J’ai lu beaucoup de dystopies et c’est vraiment un genre que je trouve intéressant. J’ai pour idée dans le futur d’en créer une qui traiterait de l’intelligence mais pour l’instant, je n’en ressens pas l’envie. Mes cinq romans sont sortis dans un laps de temps plutôt court (six ans), tout ça en gérant mes études dans le même temps, donc j’ai besoin de souffler et de profiter de ma vie d’adolescente. Je garde cette idée de dystopie dans un petit coin de ma tête…
Je suis une personne « multitâche » qui a besoin d’explorer toutes les possibilités qui s’offrent à moi. J’aime dessiner, faire du patin à glace, cuisiner. J’ai créé un logo de site pour une auteure, je viens tout juste de terminer la création d’une couverture pour un thriller d’un autre auteur. J’avais également envie de devenir figurante pour découvrir le monde du cinéma, ce qui est, à l’heure où je vous parle, chose faite. Vous pourrez m’apercevoir à l’automne 2023 dans un film d’horreur produit par une société internationale.
Et j’ai pour dernier rêve que Mon petit soldat soit adapté au cinéma. Certains de mes amis étudient en section cinéma et se sont proposés, dès leur diplôme en poche, de le réaliser.
Je suis consciente du très beau parcours que j’ai déjà effectué et j’en suis reconnaissante. Ma mère m’a appris à me mettre aucune barrière et croire en mes rêves, alors je suis ses conseils.