J.-F. Leger est en lice pour le Prix des Auteurs Inconnus, dans la catégorie « littérature blanche ». Sa réaction quand il a su qu’il était sélectionné pour le Prix :
C’est parti pour une interview autour de son parcours, de son œuvre, et de Danse, danse, montagne agile, son livre en lice !
Danse, danse, montagne agile, n’est pas votre premier livre et un autre l’a déjà suivi. Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
J’ai toujours aimé les livres. L’objet. Que l’on regarde avec respect et émotion, que l’on prend puis tient dans sa main, qui vous fait vivre mille aventures, vous fait comprendre mille et une choses sur vous, le monde qui vous entoure, la vie.
J’ai donc toujours lu. Et bien souvent écrit… quelques lignes. Je rêvais d’écrire un livre, un vrai, puis un autre. Mais le quotidien l’emportait, le temps manquait. Combien furent commencés et s’arrêtaient à un titre, quelques paragraphes, au plus un premier chapitre.
Pourtant, une idée, une saynète vécue, l’observation d’un paysage ou d’un visage se gravaient dans ma mémoire avec l’envie de développer. Plus tard… Une intrigue s’installait… Et il y a quelques années, les circonstances le favorisant, j’ai pris le temps de raconter une histoire complète, d’écrire mon premier roman. Il a été beaucoup repris, corrigé, modifié. C’était Danse, danse, montagne agile. La première version méritait d’être sérieusement retravaillée (et peut-être maintenant encore !), c’est pourquoi j’en ai écrit un deuxième, Un curieux grain de sable. Qui a été le premier publié.
Vous prenez donc vos sources d’inspiration dans le quotidien, autour de vous ?
Oui. Un paysage, une scène, une réflexion, une attitude, un comportement. Un fait anodin qui parait déplacé dans une situation donnée et qui peut donner lieu au développement d’une intrigue, qui, parfois, peut être farfelue ou irréaliste. Ce peut être également des thèmes que j’ai envie de traiter, qu’il faut alors mettre en situation. En fait, la vie ! Avec ce que l’on voit, que l’on sent ou que l’on devine.
Vous avez aussi parlé de l’importance de la lecture dans votre parcours. Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez particulièrement proche ?
J’ai la conviction que je ne serais pas le même si je n’avais pas lu, notamment au sortir de l’adolescence, Camus, Zola, Hermann Hesse (et en particulier Narcisse et Goldmund) et peut-être que je n’aurais pas cette appétence pour l’écriture si je n’avais pas éprouvé une sensation luxuriante et jubilatoire en lisant L’amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marques ou L’après-midi bleu de William Boyd. Ah ! Serai-je un jour capable d’écrire une œuvre inspirant de tels qualificatifs ?
Oui, j’ai beaucoup lu : des romans, du théâtre, de la poésie, des essais, de la philosophie. Des livres qui m’ont transporté, fait rêver, d’autres ardus et quelques-uns que j’ai parfois trouvé laborieux, fastidieux, ennuyeux. Bien évidemment, n’aimant pas blesser, je ne donnerai pas de nom !
Je pourrais citer beaucoup d’écrivains en étant persuadé que j’en oublie. Ce sont davantage des livres qui m’ont marqué, plus que des auteurs et leurs œuvres complètes.
Me sentir proche d’un auteur, de son univers, de son style ne veut pas dire que j’aspire à écrire comme lui. Bien au contraire, je ne souhaite pas me cantonner dans un format ou un style de récit. Je préfère explorer à chaque fois une nouvelle manière de raconter et un nouveau genre. Je n’ai jamais aimé les étiquettes, les cadres rigides, les présupposés, les préjugés, les certitudes acquises.
Quand je me lance dans l’écriture d’un roman, je n’en lis pas. Sans doute pour ne pas être influencé et rester dans l’univers que je crée.
Parlez-nous de Danse, danse, montagne agile. Comment vous est venue l’idée de l’écrire ?
Danse, danse, montagne agile est une histoire qui s’est imposée à moi au fil du temps. Depuis longtemps, j’étais interloqué par la théorie de la musique des sphères (pour Platon, chaque planète émet un son déterminé par un calcul de proportion). Jusqu’à ce que j’entende que la NASA en proposait une version en transformant des ondes électro-magnétiques en ondes sonores.
J’avais envie de traiter d’autres thèmes dans ce livre. Dans une époque qui va de plus en plus vite, des artisanats disparaissent. Pourtant, leur trace subsiste encore dans nos technologies modernes. Par exemple, qui sait que le « Lorem ipsum », utilisé en imprimerie dès le XVIème siècle, est le texte de référence encore utilisé de nos jours pour caler un texte dans un site Internet ?
J’avais envie d’écrire une histoire qui évoque « l’honnête homme », un individu curieux, ouvert, s’intéressant à des domaines qu’il n’était pas sensé connaître, très loin des experts hyperspécialisés qui font notre environnement actuel.
Devoir subir les difficultés qu’éprouvent les personnages devant l’obligation d’étudier des phénomènes scientifiques ou des idées philosophiques permet au lecteur de ressentir l’épreuve endurée par le personnage de fiction. A contrario, je souhaitais écrire une histoire dans laquelle les avancées se font facilement, pour oublier ce qui fait la vie de tous les jours avec ses soucis, ses difficultés et ses contraintes. Je n’avais pas envie de raconter de névroses mais d’offrir un moment d’évasion avec un peu de légèreté pour s’évader d’un quotidien « plein de fracas et de furie ».
Il est vrai que votre roman n’est pas une histoire « qui ne signifie rien », si nous continuons la citation de Shakespeare : parmi vos personnages, vous faites la part belle aux jeunes gens en formation et en quête de leur histoire familiale, donc en quête de sens. Avez-vous écrit un roman d’apprentissage ?
Oui ! C’est un roman d’apprentissage… qui pose un certain nombre de questions.
Connaît-on bien ses proches ? C’est une première question posée en filigrane du roman.
Ensuite, je voulais décrire un processus d’apprentissage qui conduit à la découverte d’une dimension en soi que l’on ne soupçonnait pas. J’ai lu dans des chroniques que l’on trouvait les quatre cousins immatures, un peu « benêts » alors qu’ils ont fait des études et ont entre vingt-cinq et trente ans. Mais combien faut-il d’années pour avoir une connaissance de son moi intérieur ? N’est-ce pas Pablo Picasso qui disait « qu’on met longtemps à devenir jeune » ? Combien faut-il de temps pour percevoir en nous une dimension spirituelle ? Mais c’est aussi de leur immaturité et de leur engagement que naît une intelligence collective.
Voici quelques-unes des idées qui ont façonné ce roman. Un ami, ancien éditeur, m’a fait remarquer ‑ sans me le reprocher ‑ que je développe beaucoup de thèmes. Trop peut-être ? Au risque de bousculer les lignes éditoriales, les consignes et les habitudes des experts ?
Votre livre fait voyager à travers les siècles. En tant que lecteur, recherchez-vous également les romans historiques ?
Je lis peu de récits historiques et de biographies. Mais, je me rends compte qu’en avançant en âge, je m’intéresse de plus en plus à l’Histoire. Pourtant cela ne constitue pas un matériau de base pour mes écrits.
Je préfère écrire dans une temporalité indistincte. Ce peut être dans le passé ou dans un futur possible. En fait, je fais un amalgame pour créer un présent sans âge. Certains lecteurs pensent reconnaître telle période ou tel lieu. Mais c’est leur système de référence qui les amène là, pas l’atmosphère, l’intrigue, le récit. Le lecteur doit se laisser porter, sans veiller à la vraisemblance. Quel intérêt pour la fiction si tout doit être précis, réaliste, vérifiable ? La littérature doit-elle être une science cadrée, rigide ?
En tout cas, votre livre fait aussi voyager à travers des pays bien réels… écrivez-vous avec vos souvenirs de voyage, ou écrivez-vous pour vous en constituer ?
Mes livres ne sont pas des autobiographies. Mais j’observe beaucoup, j’écoute attentivement (des restes du musicien sans doute) et il m’arrive de décrire un personnage ou un paysage en fonction d’une observation passée. Voire même de plusieurs que je mêle. Et j’ai un peu voyagé…
Maintenant, dans Danse, danse, montagne agile, les lieux visités au cours du récit ne sont pas dus au hasard. Ils ont été, à un moment, carrefours de civilisations et de développement de la connaissance humaine.
Vous avez parlé du point de départ que vous avez trouvé dans la théorie de la musique des sphères, et votre livre aborde bien d’autres thématiques qu’il prend le temps de détailler : aussi bien l’ésotérisme ou la typographie que la musique ou l’astronomie, le tout dans des cadres historiques précis. Comment fait-on pour se documenter sur autant de domaines ? Correspondent-ils à vos passions ?
J’espère ne pas avoir été trop hermétique !
J’aime regarder les étoiles et j’ai été musicien (je le suis encore mais plus de la même manière). Par la musique, j’ai découvert un état chez l’homme qui n’est pas que matériel, qui ne cherche pas à satisfaire l’ego. Un monde sensible à explorer sans fin. Étudier un choral de J-S. Bach ou une sonate de Schubert ne pousse pas à la violence et vous entraîne vers une intériorité, un ailleurs intime qui ouvre à l’universel. Du moins pour moi.
Je ne connais ni l’astrologie, ni la typographie, je n’avais qu’une connaissance partielle de la philosophie grecque et je ne suis pas un exégète du soufisme. Alors j’ai fait beaucoup de recherches (qui m’ont enrichi) et j’ai raconté une histoire « à ma sauce » avec toutes les erreurs et les approximations possibles.
Levez un coin du voile sur votre processus d’écriture… car votre roman est bâti en deux parties distinctes. Est-ce un déroulé que vous aviez en tête avant d’écrire, ou vos personnages ont-ils pris le pouvoir et décidé de ce qu’ils voulaient faire ?
La construction du roman a été complexe à établir. Je voulais commencer par une évocation du Big Bang, en appuyant sur la chronologie scientifique mais dans un style que j’espérais poétique : trois minutes seulement dans des milliards d’années pour créer la matière ! Ensuite chevaliers du Moyen-âge côtoyaient un grand-père et ses petits-enfants dans une quête commune qu’ils mèneront plus ou moins à terme. Dans la première version, les chevaliers se trouvaient entre la partie consacrée au grand-père et celle des petits-enfants. Certains béta-lecteurs préféraient une suite chronologique. Or, mon roman précédent (Un curieux grain de sable) est fait de renvois constants dans le temps : pour faire différemment, j’ai alors opté pour une chronologie stricte. Une façon de construire son avenir sans ignorer le passé.
Par ailleurs, j’aime être surpris par mes personnages dans une scène imaginée. En cours d’écriture, je constate que les choses ne peuvent pas se passer comme prévu, les personnages prennent le dessus. Je deviens spectateur. Je me laisse porter. Ce n’est plus moi qui écris. J’adore ces instants.
Comment êtes-vous venu à l’auto-édition ? Quels sont les avantages de l’auto-édition par rapport à l’édition traditionnelle, quels sont ses inconvénients ?
Des éditeurs ont refusé mes premiers tapuscrits, oui, mais mon choix pour l’autoédition vient surtout d’une rencontre. Ayant été entrepreneur, c’était une nouvelle aventure. En écrivant, seul à mon bureau, je me sentais artisan : je façonnais au jour le jour (à la poursuite de mon « chef-d’œuvre » en référence aux Compagnons du Devoir, sans forfanterie ni prétention). Je n’avais pas perçu alors l’ampleur de la tâche. Mais aujourd’hui, je ne regrette pas.
Pour moi, l’avantage de l’autoédition, c’est de correspondre à une réalité actuelle. Elle est dans l’air du temps. Et si le circuit « traditionnel » s’intéressait un peu plus à elle, ses acteurs se rendraient compte qu’il y a matière à construire ensemble un outil de diffusion dans lequel chacun trouvera son intérêt.
Revers de la médaille, l’autoédition impose un travail considérable. C’est une tâche colossale (et insoupçonnée la plupart du temps) où l’écriture ne représente qu’une petite partie du travail : corrections, mise en page, 4ème de couv, couverture, promotion… Et si elle veut acquérir ses lettres de noblesse, l’auteur doit être particulièrement vigilant sur la qualité de ses parutions. L’autoédition est mal vue alors qu’elle correspond à une évolution. Elle doit donc être exigeante pour ne pas laisser prise aux préjugés négatifs.
Un autre inconvénient, c’est l’espoir minime d’émerger au milieu d’une production prolifique. Mais n’est-ce pas la difficulté que rencontrent les petites maisons d’édition dans lesquelles les moyens ne sont pas à la hauteur de la passion ?
Alors, cherchons à faire bien sans y attacher d’importance. Roberto Bolaño n’écrivait-il pas : « Garder courage, en sachant au préalable qu’on sera vaincu, et aller au combat : c’est ça la littérature. »
Comment faites-vous pour être un peu moins inconnu ?
Je compte sur vous !
Trêve de plaisanterie ! Quand je me suis mis à écrire des romans, ce qui importait pour moi était de savoir si je faisais pire que les autres. Des encouragements m’ont poussé à poursuivre. Ce n’est pas à moi de dire si je suis un écrivain. Moi, j’écris des histoires et j’espère offrir un moment plaisant au lecteur.
Un ami éditeur, à qui je confiais – un peu fatigué par une promotion chronophage et désespérante – que l’essentiel pour l’auteur était d’écrire, m’a répondu : « Et aussi d’être lu ! » Alors, j’essaie d’activer des relais, qu’ils soient physiques (les salons, les librairies,…) ou numériques (les réseaux sociaux). Suite au Salon des Indés de Lyon, nous avons décidé à quelques-uns de créer un collectif d’auteurs indépendants (l’oxymore n’est pas loin) ‑ l’union fait la force ! ‑ avec des projets particuliers d’animation : des interviews sur des chaînes Youtube sur l’écriture et les étapes de construction, des chroniques sur les réseaux sociaux, des séances de dédicace en commun, etc. Ce projet est en train de se structurer.
L’essentiel, pour moi, reste dans le plaisir offert au lecteur. S’ils sont nombreux, ce sera merveilleux. Sinon, le battement d’aile de papillon créé sera déjà une satisfaction.
Avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?
La suite d’Un curieux grain de sable est en phase d’écriture. Je ne veux pas évoquer de date de parution car les événements que nous avons vécus ces derniers mois ont perturbé son avancement. J’espère encore une sortie au cours de 2021.
Et deux autres romans commencent à mûrir. Des notes s’accumulent.
J’ai mis du temps à trouver le temps d’écrire mais je n’ai pas envie d’arrêter, si j’en ai la possibilité (le décès brutal d’un ami cher cet été m’a bien fait comprendre que la vie ne nous appartient pas. L’essentiel n’est-il pas alors de savoir à quoi et comment occuper le temps qui nous est offert ?)
Comme les petits-enfants d’Hippolyte dans Danse, danse, montagne agile, je suis en apprentissage, curieux de tout, en éveil.