Interview : Laurine Valenheler

Laurine Valenheler est en lice pour le Prix des Auteurs Inconnus, dans la catégorie « littérature noire ». Voici ce qu’il s’est passé pour elle quand elle a su qu’elle était sélectionnée pour le Prix :

Un peu d’étonnement, d’incrédulité et de satisfaction mêlés. Je mentirais en disant que j’ai physiquement sauté de joie, mais il y a eu de l’emballement, c’est certain, et un profond sentiment de gratitude.

C’est parti pour une interview autour de son parcours, de son œuvre, et de Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang, son livre en lice.

lls se marièrent et il y eut beaucoup de sang est votre premier livre. Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang est mon premier roman publié et abouti, mais c’est en réalité le sixième que j’ai écrit. Mon histoire d’amour avec la littérature remonte à loin… J’ai mis le point final à mon tout premier roman, resté à l’état de premier jet, lorsque j’avais 11 ans. C’était une romance qui se voulait vaguement sensibilisante quant aux thèmes de la violence conjugale et de la pédophilie, mais qui ressemblait plus à de la bouse de licorne saupoudrée de poussière de poncifs sur 150 pages qu’à autre chose. N’ayons pas peur des mots : c’était absolument dégueulasse, tant d’un point de vue syntaxique que stylistique, mais à 11 ans, je crois que je peux invoquer la prescription sans trop passer pour une lâche, non ?

Jusqu’à 16 ans, j’ai ensuite écrit l’équivalent d’un roman par an, glissant petit à petit de la romance à la dystopie politique, pour aller tout doucement vers le polar. Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang a vécu, tout comme moi à cette période, plusieurs vies de mes 19 à mes 22 ans, avant d’aboutir à celle que l’on connaît. Néanmoins, je ne saurais dire précisément comment j’en suis venue à écrire de la fiction. Je me souviens m’être assise un jour devant mon vieil ordinateur de bureau, dans ma chambre d’enfant, et avoir jeté mes premières lignes sur un fichier WordPad comme si c’était une évidence, mais sans qu’il y ait eu besoin d’un déclic précis. Je n’avais aucune idée de l’importance que cet acte prendrait dans ma construction personnelle, mais je crois que je savais déjà au fond de moi que ce ne serait pas anodin…

Vos sources d’inspiration sont donc autour de vous ?

Oui. Certes, mes lectures m’inspirent, tout comme les créations audiovisuelles qui me marquent. Mais ce sont aussi les rencontres, la vie, celle qui s’anime et qui meurt tout autour de nous. Je ne crois pas qu’il y ait de meilleure source d’inspiration que l’observation de la vie qui se joue à côté et en nous, l’exploration minutieuse des existences que l’on croise. Certains endroits m’inspirent particulièrement comme les gares et les aéroports, car ce sont des lieux de passage et de lumières qui ne connaissent pas le silence. J’ai autant besoin de solitude pour écrire que de bruit pour créer et inventer.
Vous êtes une auteure qui regarde autour d’elle. Quels rapports entretiennent pour vous l’écriture et la fiction ?

La fiction a ceci de magique qu’elle n’a aucun compte à rendre à la réalité, et s’affranchit par conséquent de ses limites. Pour tout auteur qui aime vraiment les mots, leurs sonorités, leurs unions et leurs divorces, l’écriture est un jeu, une fête ponctuée de moments intenses et d’instants de vide, mais je crois qu’au-delà de l’aspect récréatif, elle doit être appréhendée avec beaucoup de sérieux, du moins au moment où elle est retravaillée. Aucun mot, aucune virgule, aucun saut de ligne ou changement de paragraphe n’est anodin. Écrire de la fiction permet de mettre toute sa spontanéité créative et ses emportements au service du fond, d’une histoire que l’on peut créer librement : car l’imagination, contrairement à la réalité formelle, n’a de barrières que celles qu’on lui donne, tandis que la forme peut concentrer davantage de rigueur sans pour autant que cela ne crée de frustrations…

Cela aurait pu vous faire passer à la littérature de l’imaginaire… De quel·le.s auteur·e·s vous sentez-vous proche ?

J’ai toujours du mal à me dire proche d’autres auteurs car cela sous-entendrait que je me place au même niveau qu’eux alors qu’on se sent bien souvent en-dessous de ses « idoles », d’autant que mes influences littéraires sont aussi variées que ma bibliothèque (littérature noire, littérature contemporaine, classiques, essais féministes, théâtre…). Je pourrais dire que je me sens proche de Louise Mey et de Marie Neuser pour la littérature noire, dans la façon d’utiliser la fiction pour hurler son indignation face aux thématiques qui la touchent pour la première, avec modernité et sans concession, et dans l’exigence portée au style pour la seconde. Côté classique, je me sens littéralement connectée avec Tennessee Williams lorsque je me plonge dans une de ses merveilleuses pièces, totalement en phase avec ce regard cynique et désenchanté qu’il porte sur les rapports humains et sentimentaux. La poésie romantique de Paul Eluard et de Louis Aragon me touche autant que la verve enflammée d’un Jacques-Olivier Bosco dans Laisse le monde tomber ou la complétude psychologique mise en œuvre dans un roman d’Antoine Renand.

En fait, je me sens presque plus proche des auteurs en tant que lectrice qu’en tant qu’auteure, lorsqu’ils savent représenter le monde tel que je le vois, et le seul point commun entre tous ces auteurs cités est finalement l’exigence qu’ils portent au style et leur acuité à explorer avec finesse la psychologie humaine et ses applications sociales. Je ne cherche jamais à comparer mon travail à celui d’autres car je crois que c’est, d’une certaine manière, le début d’une forme de mégalomanie, dangereuse et incompatible avec la création artistique telle que je la conçois…

Comment vous est venue l’idée d’écrire Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang ?

L’homophobie est un thème de société qui a commencé à m’interpeller au moment des débats enflammés sur la loi Mariage pour tous. Je lisais beaucoup d’articles sur le sujet, j’écoutais attentivement ce qui se disait sans m’engager. J’ai commencé à écrire une ébauche de ce qui ne devait être qu’une nouvelle en 2015, deux ans après ces fameux débats et pendant mes années étudiantes synonymes d’émancipation intellectuelle et de joyeuse glandouille durant lesquelles je me suis liée d’amitié avec plusieurs personnes LGBT. J’ai entendu ce qu’elles avaient vécu et vivaient encore pour certaines. Il fallait que ça sorte, sur le papier.

C’est aussi le moment où j’ai commencé à me concentrer sur le polar dans mes lectures, alors que j’étais davantage branchée classiques et littérature contemporaine. Un constat alarmant en est ressorti : celui de la sous-représentation, sinon la caricature, des personnages homosexuels en littérature noire… S’est alors imposée l’idée d’une intrigue policière autour de crimes en série homophobes portée par un couple de flics homosexuels. Trois ans et demi plus tard, la nouvelle est devenue un (gros) roman et Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang est né. J’y ai mis le point final peu de temps après la vague vomitive d’agressions homophobes fin 2018, qui a agi comme un catalyseur de ma motivation à apporter mon micro-caillou à l’édifice. Après plusieurs projets de romans aboutis, c’était le bon. Si je devais en sortir un, ce ne pouvait être que celui-ci…

Votre roman met en scène des meurtres particulièrement abjects, avec une référence à l’Allemagne nazie. Or, même si c’est loin de le résumer, c’est un livre militant : pensez-vous qu’il faut marquer les esprits pour faire passer un message ?

Je ne sais pas s’il faut réellement marquer les esprits pour véhiculer un message, mais je crois qu’incarner une idée par la fiction plutôt que monologuer dessus sur un modèle journalistique ou encore selon le plan thèse-antithèse-synthèse peut permettre de toucher plus de monde et de répandre une onde de choc plus intense et durable, c’est même certain. C’est exactement ce que j’ai cherché à faire avec Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang : mettre des personnages de fiction, que j’ai voulu aussi vivants qu’il se pouvait, au service du propos, en permettant au lecteur de ressentir pleinement les émotions et le sentiment d’injustice qui les assaillaient, et non l’inverse. Cela devait passer par quelques concessions faites au niveau des normes admises dans le polar ou le thriller, que j’assume pleinement. Trouver l’équilibre entre raconter une histoire et véhiculer un engagement, sans céder à l’un trop de terrain pour noyer l’autre, était un exercice de funambulisme, et c’est finalement cet équilibre qui, si tant est que j’aie réussi à le trouver, est garant du message porté par l’histoire et les personnages et de sa résonance sur les lecteurs.

Si vous avez pu maîtriser la date de sortie d’un livre aussi important dans votre vie, c’est aussi parce qu’il est auto-édité. Comment êtes-vous venue à l’auto-édition ? Quels sont les avantages de l’auto-édition par rapport à l’édition traditionnelle, quels sont ses inconvénients ?

Au départ, je voulais donner vie à ce roman d’une façon très personnelle. J’avais une idée assez précise de ce que je voulais, de la couverture à la mise en page en passant par le circuit de distribution. Tout est home-made, comme on dit. La photo ne provient pas d’une banque d’images mais a été prise sous mes instructions par une amie passionnée de photographie. Étant une nana très control freak (j’essaie de me soigner autant qu’il se peut, je le jure…), l’idée de tout maîtriser de A à Z me donnait des ailes.

L’auto-édition, dont j’avais entendu parler via les groupes de lecture et les réseaux sociaux, a constitué pour moi un premier choix et ne découle pas de refus de manuscrits en maison d’édition au préalable. Avec du recul, je crois pouvoir dire que je regrette quand même de ne pas l’avoir soumis au regard de comités éditoriaux… J’aurais voulu être davantage poussée dans mes retranchements, davantage guidée au moment des corrections. Je crois qu’il y a, malgré toute ma bonne volonté et mon perfectionnisme et sans honte de le reconnaître, des choses que je n’ai pas faites correctement dans Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang, des écueils que je n’ai pas su voir seule, avec mon regard amateur, et qui me frustrent avec du recul. Et même si c’était sûrement le prix à payer pour donner naissance à un roman qui prenait autant de risques en jouant avec les règles d’un genre habituellement figé, un travail éditorial m’aurait sûrement épargné de nombreuses auto-flagellations ultérieures… C’est selon moi l’inconvénient majeur de l’auto-édition, bien avant la faible résonance médiatique sans tous les canaux de promotion dont disposent les ME. Néanmoins, l’auto-édition m’a aussi permis de donner naissance à un roman construit différemment de ce qui se fait dans le genre et d’en faire ce que je voulais, sans transformation ou dénaturation des mots ou des propos, ce qui était très important pour moi.

Pour être tout à fait transparente, et même si les auteurs auto-édités ont plutôt un discours complaisant envers l’auto-édition, je ne le partage pas et vois davantage d’inconvénients que d’avantages à l’auto-édition dans l’absolu. Comme pour beaucoup de choses, l’absence de garde-fous mène à de nombreuses dérives, préjudiciables pour les lecteurs comme pour les auteurs en passant par l’auto-édition elle-même. Mais ça doit être mon côté control freak ascendant dictatrice en puissance qui parle…

Comment faites-vous pour être un peu moins inconnue ?

L’idéal serait que ses écrits soient connus tout en nous permettant de rester nous-mêmes inconnus, non ? Moi, j’aimerais bien disparaître derrière mes écrits, troquer la vie de chair et d’âme contre une existence lettrée et calligraphiée.

Mon premier roman a rencontré un lectorat bien plus étendu que ce à quoi je m’attendais, même si c’est une nano goutte d’eau dans l’océan par rapport aux « grands » auteurs, bien sûr. J’ai reçu beaucoup de commentaires, des critiques très fouillées, qui m’ont permis d’atteindre un lectorat exigeant par la suite, auxquelles sont venus s’ajouter des messages très touchants, comme ce mail d’une maman qui m’écrivait pour me dire que mon roman lui avait permis de mieux accepter l’homosexualité de son fils de seize ans. Lorsque la vie transcende l’écrit, que le fruit de son imagination et de ses engagements trouve une résonance concrète dans la vie des gens, ce genre de messages éclipse toute prétention littéraire, artistique ou mégalo-je-ne-sais-quoi… Après avoir capté ce témoignage, qui légitime à lui seul les trois ans passés sur l’écriture du roman, je ne pourrais rien demander de plus et je serais indécente de le faire.

On me dit souvent que mon roman a bien marché alors que je n’ai pas fait grand-chose pour. Il doit y avoir un peu de vrai là-dedans… De toute façon, je serais incapable de me vendre. Et je suis convaincue que, même si de nombreux paramètres souvent peu contrôlables entrent en jeu, c’est le lectorat qui choisit les auteurs qui le toucheront, et pas l’inverse.

C’est pourquoi aujourd’hui, je peux même sans complexe me réjouir du fait que mon roman apparaisse dans la sélection du PAI notamment aux côtés de Williams Exbrayat, dont je considère objectivement (j’insiste sur le « objectivement », je ne connais pas plus que cela l’auteur) le roman Ma vie sera pire que la tienne comme l’un des meilleurs livres auto-édités que j’ai pu lire. J’imagine que c’est un sentiment particulier que de souhaiter qu’un autre roman que le sien gagne…

En effet ! Pour terminer, avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?

La suite de Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang (qui reprendra la même équipe de personnages, mais pas la même histoire, bien entendu) est dans les tuyaux depuis un moment. Le deuxième opus est en cours d’écriture, alors que j’ai déjà la thématique du troisième, d’une actualité plus que brûlante, en tête. Puisque j’attache une énorme importance au style et peux parfois réécrire dix fois un seul et même passage, l’écriture du premier jet prend toujours du temps. Et toute cette petite tambouille tournera, encore et toujours, autour de différents thèmes de société…

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