Vous avez un parcours déjà varié dans la littérature puisque vous avez écrit deux romans, mais aussi des pièces de théâtre. Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
J’écris depuis toujours. J’ai grandi dans un quartier un peu difficile de Marseille et mes parents m’ont souvent protégé de l’extérieur. Dans ma prison dorée, j’ai en premier lieu développé le goût de la lecture. Mon imaginaire a beaucoup puisé de ces temps-là. Fatalement, en grandissant, c’est l’envie de raconter mes propres histoires qui m’a pris. Mais c’est tout d’abord vers le cinéma que mes écritures me menaient. Je rêvais de devenir auteur-réalisateur. J’en rêve encore d’ailleurs ! Mon premier roman est même l’adaptation d’un de mes scénarios !
L’écriture romanesque est venue beaucoup plus tard, à l’occasion d’un concours de nouvelles. Je me suis pris au jeu, pour voir, et j’ai terminé finaliste de la première édition, présidée par Maxime Chattam dont les retours élogieux m’ont donné envie de retenter ma chance. Et l’année suivante, c’est Michel Bussi qui a fait de moi le lauréat. Je venais de tomber dans la marmite, impossible d’y échapper ! J’y avais pris goût et j’avais sans doute trouvé ma voie…
Avant ma rencontre avec Michel Bussi, celle avec le livre de Cyril Massarotto « Dieu est un pote à moi » a été déterminante. C’est en le lisant, que je me suis dit que c’était ça que je voulais faire : une écriture populaire et distrayante mais avant tout porteuse de sens !
J’avais depuis longtemps l’envie de travailler sur un personnage avec une vie multiple. Mais je n’arrivais pas à trouver la bonne clé pour aborder ce concept de façon originale. Un soir, en allant manger au restaurant, ma fille m’a posé la question suivante : « Papa, qu’est-ce qui se passe si personne ne te déclare à la mairie ? Tu n’existes pas ? » Sans le savoir, elle venait de m’offrir le chaînon manquant, le premier des prétextes pour justifier l’existence de nomade de Tino, mon personnage, et son besoin, une fois seul au monde, de donner du sens à sa présence sur terre.
D’aucuns trouveront ce concept de non-existence totalement invraisemblable, mais la vie offre souvent des situations bien plus complexes encore (et j’ai des tas d’exemples en ce sens, puisés dans ma pratique d’éducateur !). L’existence est tellement relative ! A travers cette histoire, je ne fais que pousser le concept jusqu’à une forme de paroxysme. Cependant, au-delà du fait qu’il n’ait pas été dûment inscrit dans la vie des hommes, Tino éprouve profondément les choses et peut se targuer de vivre vraiment. Peut-être même davantage que beaucoup d’entre nous qui possédons une Carte d’Identité mais qui restons pris au piège du quotidien et de désirs qui ne sont pas forcément les nôtres !
Là où la réalité m’a rattrapé, c’est que j’ai eu le malheur de perdre mon propre père en cours d’écriture. Ce roman est en ce sens très particulier pour moi. L’écrire a été à la fois très douloureux, a constitué un hommage, mais aussi un temps d’exaltation où, comme mon personnage, j’ai pu m’appuyer sur une force nouvelle à partir de ce deuil. A travers cette épreuve et à travers cette écriture, je suis entré dans une seconde peau. Je suis désormais en première ligne pour porter mon histoire familiale. En ce sens la question des racines, très présente dans le livre, est devenue essentielle. Et puis enfin, de façon plus globale, ce livre sous des travers très fictionnels voire un peu surréalistes parfois ne parle que d’une réalité et de questionnements que beaucoup de personnes portent : suis-je en phase avec ce que j’ai envie d’être ? Suis-je vraiment heureux ? Le monde dans lequel je vis me convient-il ?
Tino n’est pas le seul personnage aux prises avec ses racines. On en rencontre d’autres dans votre livre, issus d’horizons très divers. Comment avez-vous décidé d’intégrer toute cette diversité humaine à votre histoire, qui passe aussi par une diversité de pays traversés ?
Le voyage est un fil conducteur du livre, et mes personnages traversent des lieux que j’aime. Cela doit se sentir dans mon histoire : en bon méditerranéen, je me sens proche de la mer et suis fasciné à vie par l’océan. Quant aux Calanques de Marseille, elles font l’objet de pèlerinages réguliers !
Mais au-delà de cela, la diversité humaine, quoi qu’en disent certains, est une richesse encore bien plus grande que l’or ou le pétrole ! Les problématiques abordées dans le roman me paraissent tellement universelles qu’il me semblait important d’y glisser de nombreuses façons d’« être » humain. J’y ai fait un peu de place à ceux que l’on ne regarde plus, à ceux nés au mauvais endroit, aux handicapés de la vie, ceux qui n’y arrivent pas ou qui se débrouillent avec les miettes…
Clairement et je le revendique ! Beaucoup voient en Les trois vies de l’homme qui n’existait pas un conte, un récit initiatique. Et ils ont totalement raison. Mais ceux qui veulent bien y lire une critique vigoureuse de l’ultra-libéralisme et de ses méfaits voient juste eux aussi. Le regard candide de Tino sur le monde me permet de faire mesurer le profond décalage entre une vie simple, naturelle, remplie de bon sens et de valeurs humaines et cette bouillie de vie sociale où ce qui nous rassemble sont des marques de chaussures ou des licences de fast-food !
L’exemple des gants roses, que l’on retrouve dans le livre, ne fait que pousser le bouchon d’une démarche éprouvée par les publicitaires depuis les lustres où dès lors que l’on offre du sens, n’importe quel produit, même le moins glamour, peut avoir valeur de mode. Et comme Tino, je porte mes propres contradictions. Lutter contre cette inertie est une bagarre de tous les instants. Mais je reste un idéaliste et l’état du monde, des hommes qui y vivent, m’inquiète au plus haut point. Jusqu’à la fin, je défendrai l’idée que l’essentiel est d’être, pas d’avoir ! Si ce roman peut contribuer à réveiller quelques consciences…
Être auto-édité n’est clairement pas un choix. C’est un plan B utilisé faute de trouver une bonne maison à même de me faire une petite place. Maintenant, l’auto-édition ne présente pas que des désavantages. Être le seul maître à bord et garder la main à tous les niveaux n’est pas désagréable. Mais chaque médaille a son revers. J’affronte la grande aventure de l’édition en mode « navigateur en solitaire », sans accompagnement éditorial, sans force de communication ou de vente, sans correction professionnelle non plus. Je suis également absent des librairies et j’ai parfois l’impression de ne pas lutter à armes égales. Je cumule seul toutes les fonctions et franchement, c’est épuisant. Ce livre est donc foncièrement le mien, dans ses qualités et ses faiblesses. Mais il y a quelque chose de rageant à se dire qu’en étant édité, j’aurais pu sans doute rendre une meilleure copie ou tirer davantage la quintessence de mes propos. Dieu merci, face à cette solitude, je reçois beaucoup d’amour et de bienveillance de la part de mes lecteurs. Et cela fait un bien fou !
Ce qui m’importe, ce n’est pas tant d’être connu que d’élargir mon lectorat. J’ai envie de toucher le cœur d’un maximum de personnes. Être lu et mesurer l’impact de ses mots sur les lecteurs est sans doute l’une des sensations les plus puissantes au monde ! Mais célébrité et audience restent souvent fortement liées. Alors je fais le taf, je communique sur les réseaux sociaux, je contacte des chroniqueuses, ce qui m’a d’ailleurs valu de belles rencontres. J’essaye aussi de participer à des salons, mais ces derniers temps, les salons s’effacent les uns après les autres.
Puis-je faire davantage pour promouvoir mes romans ? Je ne suis pas vraiment sûr. C’est en ce sens que ce prix représente quelque chose de vraiment important. Il y a tellement de livres et beaucoup de bons livres. C’est une chance pour les lecteurs, certes, mais obtenir un prix, c’est augmenter les chances d’un auteur de sortir du lot.