Interview : Léa Bruneau
Pour introduire l’interview, pouvez-vous dire deux mots sur la manière dont vous avez connu le prix, décidé de candidater, et réagi lorsque vous avez su que vous étiez sélectionnée ?
J’ai découvert ce prix grâce à mon éditeur. Étant nouvelle dans le milieu, je ne connaissais pas encore bien les différents concours et événements littéraires. Quand j’ai appris ma sélection, ce fut une belle reconnaissance, tant pour mon travail que pour celui de mon éditeur et de l’illustrateur, dont la couverture a joué un rôle clé dans la présélection. À partir de là, j’ai pris le challenge davantage à cœur, car au début je gardais un peu de distance pour éviter une éventuelle déception.

Demain Dans Mon Reflet est votre premier roman. Comment s’est fait le chemin qui vous a amenée à écrire pour être lue ?
J’écris surtout au feeling, en laissant les idées se déployer librement. Demain Dans Mon Reflet est né de trois idées principales qui titillaient mon esprit : un concept d’énergie verte basé sur un mécanisme fictif de fission/fusion sans rayonnement radioactif, une jeune scientifique à la fois forte et fragile, et une enquête en toile de fond, liée à la disparition de la sœur de l’héroïne (inspiration du film Taken qui m’avait beaucoup marqué).
La science-fiction s’est imposée naturellement, car elle permettait d’y intégrer certaines de mes connaissances en science tout en les extrapolant. Pourtant, paradoxalement, je ne lis jamais de science-fiction — c’est peut-être pour cette raison que mon récit frôle le fantastique, un genre que j’affectionne particulièrement (plutôt la fantasy d’ailleurs : Le Passe-Miroir de Christelle Dabos, Crescent City de Sarah J. Maas, Le feu de la sorcière de James Clemens, Le livre perdu des sortilèges de Deborah Harkness).
Votre personnage est chimiste, comme vous. Comment avez-vous relevé le défi de rendre votre monde professionnel complexe compréhensible dans une fiction ?
En réalité, mon personnage est physicienne. C’était un défi pour moi, car bien que je sois chimiste et aie des bases en physique, j’ai dû me documenter pour être fidèle à son domaine. Pourquoi ne pas l’avoir faite chimiste, ce qui m’aurait simplifié la tâche ? Pour deux raisons : d’abord, pour éviter que mes proches ne voient en elle une projection de moi-même ; ensuite, parce que la physique, perçue comme plus masculine que la chimie, renforçait le caractère unique du personnage.
Le second défi, comme vous le mentionnez, a été de rendre cette science accessible et compréhensible au plus grand nombre. J’ai toujours aimé transmettre et vulgariser, deux aspects qui m’ont accompagnée tout au long de mes études. L’empathie — savoir se mettre à la place des autres, adapter son discours tant sur le fond que sur la forme — et le partage sont essentiels pour moi, et ils m’ont guidée dans l’écriture.
Votre dystopie se déroule dans plus de deux siècles, mais elle trouve ses ressorts dans le plus grand défi contemporain, celui du changement climatique. La littérature est-elle une manière de faire passer des messages ?

Je pense, en effet, que la littérature est un moyen fort pour faire passer des messages, et c’est ce qui est ressorti dans presque tous les avis sur Demain Dans Mon Reflet. Pourtant, au départ, je n’écrivais pas avec cette intention précise, sans doute parce que je ne m’en sentais pas légitime. Pour moi, il s’agissait simplement de mettre en mots ce que je constatais, ce qui se passe sous nos yeux au quotidien ou ce dont nous sommes tous témoins à travers les médias. Pourtant, la littérature de genre est rarement choisie pour porter des messages, et je trouve que c’est dommage. Elle peut souvent aborder certains thèmes de façon plus percutante et plus immersive que la littérature blanche ou classique.
Vous vous situez à la frontière entre littérature de l’imaginaire et thriller. Les frontières entre les genres littéraires sont-elles faites pour être transcendées ?
Comme je l’ai mentionné, je ne lis pour ainsi dire jamais de science-fiction : mes quelques tentatives ont échoué, en grande partie à cause des descriptions interminables et du manque d’action. J’ai voulu éviter cet écueil dans mon propre récit. Je pense que l’on écrit comme on aime lire, et pour moi, cela signifie un style rythmé, surprenant, questionnant, et chargé d’émotion. C’est peut-être ce qui rend mon roman difficile à classer dans un genre : dystopie ? Science-fiction ? Fantastique ? Enquête ? Polar ?
Impossible de trancher. Et cela devient toujours un casse-tête quand un lecteur me demande à quel genre il appartient. Il emprunte tellement de codes différents que choisir un seul genre risquerait de tromper le lecteur. Cela s’est bien vu lors du Prix des Auteurs Inconnus : certains auraient préféré le classer en fantastique (trouvant la SF trop « légère »), tandis que le fil rouge de l’enquête pourrait l’orienter vers le polar.
Je me suis souvent demandé pourquoi un roman devrait absolument se conformer à un genre unique. En imposant cette contrainte, ne risque-t-on pas de brider la créativité des auteurs et leurs processus d’écriture ? Alors oui, je pense qu’il faut briser les frontières entre les genres littéraires, ne serait-ce que pour offrir des lectures davantage différentes et surprenantes aux lecteurs. En fait, je crois tout simplement que je n’aime pas trop rentrer dans les cases !

Comment avez-vous rencontré votre éditeur ?
Quand on cherche à être publié, cela ressemble un peu à une recherche d’emploi : on n’envoie pas son manuscrit à une seule maison, c’est un vrai travail de longue haleine. David de La Lucarne Indécente a été le premier à me contacter, et le courant est tout de suite passé. Être publiée à compte d’éditeur, c’est un peu le Graal pour un auteur, donc j’étais aux anges.
Qu’apportent un éditeur et une maison d’édition par rapport à l’auto-édition ?
Pour moi, cela apporte de l’assurance et une légitimité précieuse : un professionnel du livre choisit de prendre un risque financier pour mon œuvre, ce qui est loin d’être anodin. Cela signifie aussi un vrai accompagnement tout au long du processus, avec des conseils et un soutien pour limiter les coquilles dans le texte. Avec La Lucarne Indécente, j’ai la chance de construire un projet non seulement littéraire, mais aussi humain.
Quelle serait votre plus belle récompense d’autrice ?
Ce serait de voir mon livre disponible dans la majorité des librairies indépendantes en France et en Belgique.
Avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?
Oui ! Mon prochain livre paraîtra au printemps 2025 chez La Lucarne Indécente. Ce sera un one-shot de fantasy contemporaine, avec une enquête à travers le monde, des complots politiques et patriarcaux, des mythes revisités, des figures féminines fortes, de l’action et des rebondissements. Je travaille aussi sur le tome 2 de Demain Dans Mon Reflet, bien que l’écriture prenne un peu de retard — il faut bien travailler pour payer les factures !

Très belle interview Léa ! Bravo pour ton parcours, tes idées et ta force ! À très vite pour la suite de nos nouvelles aventures !
Nous avons hâte d’en savoir plus !