Interview : Stéphanie Manitta
Pour introduire l’interview, pouvez-vous dire deux mots sur la manière dont vous avez connu le prix, décidé de candidater, et réagi lorsque vous avez su que vous étiez sélectionnée ?
Je pense avoir connu le PAI sur Facebook, en tout premier lieu, mais l’avoir suivi plus activement sur Intagram depuis un bon moment. L’année passée, j’avais soumis mon premier roman, Les Inséparables, sans réussir à passer la phase finale. J’étais donc très heureuse d’apprendre que Corps de l’âme – Pas de veine pour toi avait été sélectionné cette année.
Corps de l’âme – Pas de veine pour toi est votre deuxième roman. Comment s’est fait le chemin qui vous a amenée à écrire pour être lue ?
J’ai toujours écrit et je n’imagine pas ma vie sans. Écrire, c’est poser des mots, bien sûr, mais c’est aussi inventer des histoires. Dans mon cas, mes dizaines de personnages me suivent au quotidien. Même si je suis bien entourée par de vraies personnes, je crois que je me sentirais très seule sans eux…
Concernant Corps de l’âme – Pas de veine pour toi, je dis toujours que, si j’avais dû écrire une seule histoire à porter auprès des lecteurices, ç’aurait été celle-ci.
Ce livre est profondément ancré dans mon cœur depuis mon enfance. Il traduit l’envie de vivre malgré le désespoir adolescent. Il parle de blessures, de fêlures même, que l’on peut réparer grâce aux bonnes personnes. En amitié, en musique, en amour, ce roman pose sur la table la dure réalité et la chaleur que l’on peut trouver ainsi blotti·e contre des proches bienveillant·e·s.
Corps de l’âme – Pas de veine pour toi est effectivement sorti en deuxième, mais dans ma tête, c’est la première histoire que j’ai écrite pour être lue, pour que celles et ceux qui se sentent à part comme moi à l’époque trouvent du réconfort. Il y a 16 ans, j’ai produit une première version de 14 pages, que j’ai convertie en roman en 2020, pour l’amener à la vie sous une autre forme et tout approfondir.
Vous avez été assistante sociale. Est-ce que l’Institut décrit dans le roman (l’Institut Joly, qui accueille des jeunes gens « traumatisés de la vie ») s’inspire d’un établissement existant ? Est-ce que vous avez connaissance d’expériences ou de recherches qui vous ont permis de retranscrire le mal-être des jeunes que vous mettez en scène ?
Sarah Gindroz
Malheureusement, l’Institut Joly n’existe pas en tant que tel. En Suisse, nous disposons plutôt de structures psychiatriques ou d’éducation spécialisées (parfois en ambulatoire ou de manière temporaire), mais je n’en connais pas qui fusionnent les deux. J’ai donc spontanément imaginé un lieu qui combine l’accompagnement médical, psychologique et social, en me disant que c’est ce qui aiderait les mieux les jeunes aujourd’hui.
Corps de l’âme – Pas de veine pour toi part de mon enfance et de mon adolescence tourmentées, où je me suis constamment sentie mise à l’écart. J’ai disséminé mes sombres pensées dans plusieurs personnages, tout comme celles de mes proches ou des personnes que j’ai accompagnées dans le cadre de mon travail d’assistante sociale.
Néanmoins, je n’ai pas la science infuse et il m’a fallu effectuer quelques recherches pour certaines affections, comme le trouble de la personnalité borderline ou le syndrome de l’alcoolisation fœtale. Également, j’ai fait appel à une lectrice sensible, qui m’a aiguillée sur des notions importantes de racisme (ordinaire, surtout) ou de grossophobie, par exemple.
En parallèle, grâce à mon hypersensibilité, j’ai toujours eu la faculté de ressentir très fort ce que traversaient les gens. À présent en capacité de retranscrire cela de manière accessible, j’utilise mon affinité avec l’écriture pour transmettre des messages. Et plusieurs m’ont dit les avoir reçus et vécus en me lisant. J’en suis ravie !
Quelle est la fonction de l’univers musical très présent dans le roman ?
En travail social et en psychologie, on parle de la musique comme d’un outil de médiation. C’est un moyen pour exprimer un mal-être, pour développer sa créativité, pour traverser des épreuves (à l’instar du dessin ou de l’écriture, d’ailleurs). Je crois que j’ai choisi la musique parce que j’adore ça. J’ai pris des cours de piano dans mon enfance et, aujourd’hui, même si je ne pratique plus, la musique m’accompagne quand j’écris. Quant aux morceaux sélectionnés, ils ont une signification particulière : dans ma jeunesse, je les écoutais souvent en boucle. J’avais dès lors envie de les partager, même si certaines paroles en anglais peuvent rebuter.
Votre roman confronte à des réalités brutales et bouleversantes sur ce qu’on peut être amené à traverser dans la phase du passage à l’âge adulte. Est-il destiné en priorité aux adolescents, ou à leurs parents ?
Mon livre va avoir un an d’existence en novembre 2024, j’ai donc eu plusieurs retours qui me confortent dans le fait qu’il peut s’adresser aux deux. Les adolescent·e·s ou jeunes adultes qui sont revenu·e·s vers moi en larmes m’ont dit d’être retrouvé·e·s dans les pensées et les émotions de mes personnages. Du côté des adultes, ce sont les femmes qui ont réagi, et elles ont plutôt souligné l’utilité de cet ouvrage ou le soulagement qu’elles ont ressenti ; avoir un vécu similaire et trouver un livre qui aborde ces thématiques leur ont fait dire : « J’aurais aimé lire un livre comme ça ado. »
Toutefois, je déconseille la lecture de mon livre à des personnes fragilisées ou trop jeunes, car certaines scènes sont violentes. Le but n’est pas de traumatiser, mais justement de pouvoir s’identifier pour se sentir moins à part.
Comment êtes-vous venue à l’auto-édition, comment avez-vous choisi BoD ?
Pour ce roman, j’avais vraiment envie de choisir une équipe de professionnelles en qui j’avais absolument confiance et avec qui j’appréciais déjà travailler. L’avantage de l’auto-édition, c’est ça : une liberté totale. Et ne sachant pas élaborer ma propre couverture, m’auto-corriger, ou cibler des aspects éditoriaux seule, payer des pros me semblait primordial.
Pour BoD, j’ai choisi la plateforme surtout parce qu’elle propose une distribution de l’ouvrage sur plusieurs autres canaux, notamment pour la version numérique. Mon livre est ainsi commandable en librairie ou sur vos plateformes d’e-books préférées, pour une somme acceptable à mon sens.
Quels sont les avantages de l’auto-édition, quels sont ses inconvénients ?
J’ai déjà parlé des avantages au-dessus, alors j’aborde l’inconvénient principal. Étant donné que l’on fait tout soi-même, la promotion ou la vente ne se font pas sans l’auteurice. C’est d’ailleurs un métier à part entière et je ne crois pas être capable d’un jour le faire correctement seule. Particulièrement chronophage, cette activité vole carrément du temps à l’écriture, ce qui me fait envisager l’édition traditionnelle pour d’autres projets à venir. Par contre, il faudra que je choisisse bien.
Quelle serait votre plus belle récompense d’autrice ?
Mes plus belles récompenses sont déjà là : quand un·e lecteurice vient me dire que mon livre l’a marqué·e/bouleversé·e et que l’attente du suivant va être difficile. Une magnifique récompense également : la réussite des financements participatifs que j’ai préparés. Cela montre que les gens sont au rendez-vous pour me soutenir et permettre à mes ouvrages de sortir dans les meilleures conditions possibles.
Avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?
En réalité, j’en ai 28 ! (rires) Il y a toujours de l’amour et de la psychologie dedans, mais j’aimerais explorer d’autres genres que la littérature contemporaine. Après ma romance d’hiver, prévue pour février 2025 (dont le financement s’est achevé le 31 octobre), je me dirige donc plutôt vers de la SFFF pour m’évader un petit peu… Et peut-être toucher un nouveau lectorat ? 🙂
Quoi qu’il en soit, l’écriture occupe une place titanesque dans ma vie. C’en est au point que, depuis peu, je propose des ateliers d’écriture et des accompagnements d’auteurices à travers mon entreprise Littera’Louve.