Interview Patrice Quélard

Patrice Quélard est en lice pour le Prix des Auteurs Inconnus, dans la catégorie « littérature blanche ». Sa réaction quand il  a su qu’il était sélectionné pour le Prix :

Pour être honnête, j’ai été… très étonné. J’étais persuadé que je ne passerais jamais le stade de la sélection. Parce que ce bouquin est assez exigeant, je le savais en l’écrivant et ça a été souligné par pas mal de gens depuis. Non seulement il ne se laisse découvrir pleinement qu’en s’accrochant un peu, mais en plus, la règle d’envoyer les dix premières pages n’était clairement pas à mon avantage, puisque ça faisait trois chapitres, dont les deux premiers sont quand même assez « ardus ». J’y ai d’ailleurs longtemps réfléchi car je savais que ce n’est pas conforme aux conseils de masterclass de « ceux qui savent », qui disent qu’il faut frapper fort et entrer tout de suite dans le concret, mais je n’ai jamais trouvé comment le démarrer comme ça. Pour moi, il ne pouvait en être autrement, et tant pis. Quand j’ai su que j’étais dans les cinq, ça a donc été une divine surprise.

Sa sélection dans le prix montre qu’il a eu raison de se démarquer… c’est parti pour une interview autour de son parcours, de son œuvre, et de son livre en lice !

Patrice, vous êtes l’auteur de très nombreux romans et de nouvelles publiées dans des recueils. Comment êtes-vous venu à l’écriture ?

Je ne sais pas trop si c’est moi qui suis venu à l’écriture, ou si c’est l’écriture qui est venue à moi. Dès la primaire, j’avais clairement des prédispositions pour cette activité, et j’ai très tôt commencé à m’amuser avec, écrivant des petites nouvelles sans prétention au collège avec mon cousin, puis au lycée avec deux potes, puis en écrivant des chroniques dans un fanzine étudiant, puis dans un blog… Mais ce n’est qu’en arrivant à la trentaine qu’a émergé mon premier projet de roman hypothétiquement publiable, et il a mis beaucoup de temps avant d’arriver à maturité. En fait, j’ai toujours été un peu hyperactif et j’avais trop à faire avant avec mon corps de jeune homme. J’étais très sportif, je travaillais beaucoup (ce qui est toujours le cas d’ailleurs), et je faisais même un autre boulot pendant les vacances… L’écriture est le grand projet de la deuxième partie de ma vie.

Grand projet, c’est le mot ! Vous défiez les catégories qu’affectionne la littérature, avec vos livres qui appartiennent à plusieurs genres qu’on n’a pas l’habitude de voir incarnés par un même auteur (roman historique, roman noir, science-fiction, romans jeunesse…), mais aussi plusieurs formes (romans, mais aussi théâtre ou bande dessinée…). Comment vous vient une inspiration aussi éclectique ? Quelles sont vos sources ?

Je suis un insatiable curieux et je m’intéresse à énormément de choses, à tel point que pendant très longtemps j’étais un peu « empêché » par ce trait de caractère, car il me rendait versatile. Je passais du coq à l’âne et je commençais beaucoup de choses sans jamais les finir. Là encore, c’est la maturité qui m’a permis de me soigner un peu, mais pas complètement. Ça se voit clairement dans ma bibliographie, vous l’avez remarqué. Alors évidemment, il y a des choses qui me passionnent plus que d’autres, et notamment le passé et les futurs possibles, que l’on retrouve dans mon goût pour l’histoire et la SF. Mais je suis également un grand amateur de BD et de fantastique, donc je « bouffe à tous les râteliers ». Les livres de jeunesse, j’ai eu envie d’en écrire à cause de mon boulot de prof des écoles, le premier était une adaptation d’un spectacle que j’avais écrit pour mes élèves, mais ça n’aurait pas pu me suffire, j’ai aussi besoin de « parler aux adultes ». Et la pièce de théâtre était une commande, mais je me suis bien éclaté à l’écrire.

En fait, le « cadre » importe peu. Ce qui est primordial pour moi, c’est le contenu, le message qui passe par le livre. Je n’écris un livre que lorsque j’ai quelque chose à dire de suffisamment intéressant – selon mes critères, bien sûr. J’ai eu une période « nouvelles », qui a duré quelques années, parce que j’avais plein de petites choses à dire qui ne justifiaient pas de s’étaler sur 500 pages.

Belle transition pour parler de Catharsis – Disputatio, roman historique fleuve, premier tome d’une série dont vous en annoncez trois. Comment vous est venue l’idée de l’écrire ?

Toute l’Histoire me passionne, mais j’ai deux sujets de prédilection : la première guerre mondiale (depuis tout gamin), et la croisade contre les cathares (depuis que j’ai 20 ans). Ça faisait très longtemps que je voulais écrire un truc sur ces fascinants cathares, mais je ne trouvais jamais le bon angle, jusqu’au jour où j’ai lu… Game of Thrones ! (Je sais, ça peut surprendre). Quand j’ai découvert cette structure chorale, j’ai compris que c’était exactement ce qu’il me fallait pour ne pas me frustrer, ce qui était la condition sine qua non pour arriver au bout, car je savais que ce serait un chantier titanesque. Je voulais absolument éviter l’écueil du manichéisme (un comble, pour parler d’une religion que l’on qualifie de manichéenne, ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai), et c’est immanquablement ce qui serait arrivé si je n’avais abordé qu’un point de vue. Je voulais rendre compte de l’ensemble du phénomène, malgré tous les risques que ça comportait.

En effet, il y a quelque chose de titanesque dans un projet qui ressuscite littéralement le début du 13ème siècle : on jurerait que vous avez parcouru les routes du sud-ouest cathare, assisté aux fêtes et écouté les cansos dont vous reproduisez les paroles, que vous avez été le greffier des joutes oratoires opposant l’Église officielle aux cathares… avez-vous donc vécu des vies antérieures ? Comment avez-vous choisi ce sujet ?

Alors il y a deux réponses à cette question.

D’abord, la réponse rationnelle : je suis un maniaque de la documentation. En plus de toutes les connaissances que j’avais amassées depuis plus de 20 ans sur ce sujet qui me passionnait déjà, à partir du moment où j’ai eu pris la décision de me lancer là-dedans, j’ai passé 6 mois acharnés à compulser les livres de spécialistes et les documents authentiques jusqu’à l’overdose avant de commencer à rédiger une seule ligne. C’est aussi une région que j’adore, et j’y suis allé de nombreuses fois pour m’imprégner de l’ambiance et visiter les vestiges.

Et puis, il y a la réponse irrationnelle : vous n’êtes pas la première à me parler de mes vies antérieures. Certains me l’ont déjà dit plus ou moins sur le ton de la rigolade, mais d’autres me l’ont dit très sérieusement. Je ne me pose pas trop la question, car de toute façon, la réponse est inaccessible. Plus prosaïquement, une éditrice m’a parlé un jour de ma « capacité de projection », et le terme m’a plu. Quand vous me dites « greffier des joutes oratoires », c’est amusant car ça me ramène à l’époque où j’ai écrit ces passages : on dispose de très peu de documents sur ces disputes théologiques. Seulement quelques anecdotes, le thème général des débats et le nom des protagonistes, c’est tout. Il a donc fallu que je les reconstruise à partir de presque rien, c’était comme un puzzle dont il vous manquerait 95 %. Ça m’a demandé un énorme travail de décentration pour me mettre à leur place et imaginer ce qu’ils avaient bien pu se jeter à la figure comme arguments d’autorité. C’était vraiment difficile, mais c’était passionnant, car remplir de façon plausible les « trous » laissés par les archives incomplètes, c’est vraiment le plus grand frisson que je puisse ressentir dans ce type d’écrit. Novalis disait : « les romans naissent des lacunes de l’histoire. »

Pour autant, ce n’est pas seulement du passé que votre livre parle, car il se prête à une double lecture : une lecture ancrée dans la page de l’histoire qu’il parcourt, et une lecture métaphorique contemporaine. Est-ce voulu ?

Bigre, vous m’avez percé à jour ! C’est ce que je disais plus haut : quel que soit le support, pour écrire, il faut que j’aie quelque chose à dire. J’étais en pleine écriture de ce bouquin au moment des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, et je pense que malgré les huit siècles d’écart, il est malheureusement d’une étonnante modernité. L’un des grands thèmes du livre est évidemment le fanatisme religieux, la volonté intemporelle qu’ont les groupes constitués d’imposer leur propre schéma de pensée et d’oppresser ceux qui ne pensent pas comme eux plutôt que de les laisser libres de leurs propres conceptions.

Et puis un autre thème, tout aussi moderne, est la récupération politique qui aujourd’hui, tout comme il y a 800 ans, permet aux dominants de s’approprier un combat qui n’est pas le leur à l’origine pour arriver à leurs fins. Il existe bien d’autres parallèles, que vous avez fort bien vus dans les chroniques que mon livre a suscitées pour le Prix, d’ailleurs. Quand on s’intéresse un peu au passé, on se rend assez rapidement compte à quel point les mêmes erreurs se répètent inlassablement de siècle en siècle, et donc, hélas, à quel point l’homme a bien de la peine à retenir les leçons de l’Histoire.

Votre livre fait une belle place à un personnage en avance sur son temps, Poncia. Quel est son rôle dans l’histoire, comment en êtes-vous venu à la créer ?

Alors, ce n’est pas un scoop : être une femme dans le Moyen-Âge « le plus réaliste possible », c’est-à-dire loin de la fantasy où tout est permis, ce n’était pas très excitant ni très romanesque. Si les femmes d’aujourd’hui sont encore loin d’avoir gagné l’égalité, que dire des femmes médiévales, qui étaient des citoyennes de seconde zone, si tant est qu’on puisse d’ailleurs les définir comme citoyennes ? Pour autant, je voulais quand même mettre de la féminité dans ce roman qui a bien d’autres occasions d’être assez « mâle » par ailleurs. Mais attention, Poncia n’est pas un « quota » féminin ! Même pour moi, pour varier mes points de vue, j’en avais besoin (oui, on écrit pour soi avant d’écrire pour le lecteur, sinon, on se trahit et le résultat est médiocre !) Pour pouvoir développer une intrigue suffisante autour de cette jeune femme, il lui fallait donc quelque chose de plus par rapport aux femmes de sa condition, quelque chose de peut-être irréaliste, mais je l’assume…

En outre, il ne faut pas non plus oublier que le Moyen-Âge connut aussi des femmes très puissantes, comme par exemple Aliénor d’Aquitaine, qui fut une politicienne redoutable. Et sans aller jusqu’à ce niveau dans la hiérarchie, les femmes du Languedoc, d’une manière générale, tout du moins les grandes bourgeoises et les nobles, disposaient parfois d’un prestige important, d’autant plus qu’elles étaient souvent plus lettrées que les hommes. Je le dis dans le livre : le plus puissant des coseigneurs de Fanjeaux était une dame, et elle s’appelait Na Cavaers, et ça ce n’est pas moi qui l’ai inventé, c’est vrai. À ce titre, la civilisation occitane avait un net cran d’avance sur son homologue française avant l’invasion dont cette croisade fut le prétexte.

Catharsis – Disputatio a été successivement édité, puis repris en auto-édition. Vous avez l’expérience des deux modes de publication d’un livre : quels sont les avantages et les inconvénients de chaque support ?

Pour l’expérience que j’en ai, dans la plupart des cas, la « petite édition » n’apporte quasiment aucune plus-value par rapport à l’autoédition, bien au contraire. Bien sûr, c’est quand même une satisfaction personnelle parce que les candidats sont si nombreux que même les petits éditeurs sont obligés de se montrer très, très sélectifs. Mais malgré tout, ils vont se comporter comme des éditeurs, c’est-à-dire vous imposer des choses (ou tout du moins insister fortement) avec lesquelles vous n’êtes pas forcément d’accord, comme un changement de titre, une couverture que vous trouvez moyenne, des modifications parfois très discutables, mais par contre, ils n’ont pas les moyens d’avoir un correcteur sérieux et professionnel, n’ont pas non plus de diffuseur ni de distributeur pour vous mettre en librairie, et ne font pas ou peu de communication autour de votre livre pour l’aider à trouver son public. Au bout du compte, vous vous retrouvez avec les mêmes ventes, sauf que vos droits sont de 10 % alors qu’en autoédition c’est 70 %. À ce tarif-là, « la question elle est vite répondue », pour singer un grand comique à la mode sur les réseaux sociaux.

Alors puisque tous les rôles vous incombent… Comment faites-vous pour être un peu moins inconnu ?

Je ne fais pas grand-chose, parce que ça ne m’intéresse pas. Écrivain, attaché de presse et commercial sont des métiers bien différents, rares sont sans doute ceux qui peuvent les mener de front. Je n’ai jamais été intéressé par le commerce, et de tout ce que je pourrais mal vendre, le produit que je vendrais le plus mal, c’est sans aucun doute moi-même. J’ai une sainte horreur de l’autopromotion, qui m’apparaît en quelque sorte comme quelque chose d’obscène. Je sais qu’une telle attitude est incompatible avec l’autoédition, mais comme je vous le disais plus haut, elle est tout aussi incompatible avec la petite édition, car le petit éditeur ne fait pas, dans presque tous les cas que j’ai vus, cette promotion qui est son travail, et qui me répugne tant. Il faut dire aussi que certains styles, thèmes, genres, sont plus adaptés que le mien à l’autoédition, qui attire énormément d’ados, de jeunes adultes et de fans d’ouvrages très éloignés de ce que j’écris. Vous savez, tous ces trucs avec « new » devant. Je ne suis pas new moi, je suis old school, ah ah ah. En fait, vu mon style et ma personnalité, je n’ai pas d’autre choix que d’arriver à percer le plafond – ou le plancher ? – de verre de l’édition traditionnelle.

En attendant, depuis que je suis autoédité, le PAI a clairement été ma plus belle opportunité d’être « un peu moins inconnu ». Je suis vraiment très content de cette expérience variée et instructive et je suis très reconnaissant aux organisatrices et aux membres du jury pour tout ce qu’elles font bénévolement. J’ai aussi été un peu directeur de collection, et un peu anthologiste, j’ai donc une petite idée du travail que ça représente.

Merci ! Mais vous avez déjà été remarqué dans d’autres prix littéraires. Qu’est-ce que cela change dans le parcours d’un auteur ?

En effet, mon premier roman, Fratricide, a été finaliste du prix des lecteurs France Loisirs, puis lauréat des Lauriers d’Or dans un salon en Vendée, en 2017. C’est un prix régional qui n’a clairement eu quasi aucune incidence sur les ventes, mais qui a eu le mérite de me donner confiance en moi (comme beaucoup de gens, il m’arrive souvent d’en manquer) car ce n’était pas un de ces prix en toc où on vote pour les copains. Il y avait 40 bouquins en lice, un jury de douze personnes dont je ne connaissais aucun membre, et puis un seul élu, et ça a été le mien. Forcément, on se dit qu’on a bien fait de s’acharner pendant treize ans à finir ce truc.

Vous annoncez deux autres tomes de Catharsis… Est-ce votre prochain projet ? Qu’avez-vous en cours ?

Je suis en train de terminer le deuxième, Catharsis – la croix de sang, dont les deux premiers tiers sont déjà sortis en numérique. Derrière, il y en aura au moins un troisième, dont le nom sera (je vous le dis en avant-première) : Catharsis – le feu. Je profite d’ailleurs de l’occasion que vous me donnez pour dire à ceux et celles qui auraient lu le premier tome et l’auraient trouvé un peu trop âpre et complexe, que le second le sera nettement moins puisqu’il sera beaucoup moins question de religion.

Sinon, j’ai une nouvelle fantastique qui sort bientôt chez Rivière Blanche dans « Dimension années folles », et un livre de jeunesse qui sort en 2021 chez Beurre salé, en collaboration avec l’illustratrice Magali Ben.

Mes deux prochains projets d’écriture seront également en jeunesse, l’un explorera les années trente, l’autre la deuxième guerre mondiale.

Pour suivre l’actualité de Patrice Quélard,  rendez-vous sur :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut