Interview : Williams Exbrayat

Williams Exbrayat est en lice pour le Prix des Auteurs Inconnus, dans la catégorie « littérature noire ». Voici ce qu’il s’est passé pour lui quand il  a su qu’il était sélectionné pour le Prix :

Il est allé voir son clébard Disco Boy qui ronflait légèrement sur le canapé et a ouvert une bière. Le chien se réveilla en sursaut. Il fixa la bouteille, se lécha les babines et remua de l’arrière-train comme s’il improvisait une danse folle. Son maître lui versa une petite rasade dans sa gamelle. Disco Boy bondit du sofa, dérapa sur le carrelage en moulinant avec ses petites pattes et d’un coup de reins remarquable se retrouva pile poil devant la liche. L’auteur porta un toast aux membres du jury et se félicita d’être en lice avec des auteurs qu’ils connaissaient et dont ils appréciaient le travail. L’instant fut magique ; tout était parfaitement bien.

Tout cela est bien entendu faux, mais n’est-ce pas le travail d’un auteur que de raconter des histoires ?

C’est parti pour une interview autour de son parcours, de son œuvre, et de Ma vie sera pire que la tienne, son livre en lice !

Ma vie sera pire que la tienne n’est pas votre premier roman, mais il s’est écoulé plusieurs années entre les deux premiers et lui. Comment êtes-vous venu à l’écriture, et comment y êtes-vous revenu ?

Je suis lent. Je sais que je ne vais pas écrire beaucoup de livres donc je prends mon temps. Pour moi, écrire un roman, ce n’est pas que raconter une histoire, c’est jouer avec la langue, les codes, les genres, amener le lecteur vers quelque chose qu’il n’attend pas, le surprendre, le déstabiliser, tenter des choses stylistiquement parlant, mélanger, ordonner, digérer le quotidien et mes nombreuses lectures. La maturation est donc longue et le processus d’écriture est chaotique. Cela explique les trous béants entre mes livres. Il y a aussi les doutes, les tâtonnements, la procrastination, les fausses routes, les chausse-trappes, les nouvelles idées, le travail, la famille (pas la patrie) et l’envie de vivre tout simplement.

En ce qui concerne mon entrée dans l’écriture, elle a été très simple. J’ai toujours su que je voulais écrire et comme il se passe tellement de choses dans ma tête (souvent à mon insu), je me suis dit à l’aube de ma quarantaine : fais-en quelque chose de constructif, écris des histoires et parle du monde, enfin du monde tel que tu le perçois !

Dans ce monde, quels sont les auteur.e.s qui vous sont proches ?

Mes sources d’inspiration sont principalement les auteurs qui m’accompagnent dans ma vie. Je conçois mes ouvrages comme un hommage aux auteurs et aux genres que j’affectionne. Pour la série Maddog (Chiennes fidèles, Chasse à l’épaulard avec Maddog, le personnage principal qui est un détective immoral et gouailleur), ce sont les auteurs de Hard-boiled (un détective qui cogne dans un monde de merde) que je convie : Dashiell Hammett, Raymond Chandler et pourquoi pas Leo Malet, côté français, avec Nestor Burma.

Ma vie sera pire que la tienne est (dans mon intention en tout cas) est un hommage au roman noir américain à la façon de Jim Thompson dans un contexte français. J’ai voulu parler de choses sérieuses : la marginalité, la violence, le mal inéluctable, le tout dans une forme ludique, légère, parfois humoristique, mais je crois avec un peu de profondeur. C’est mon bouquin punk. Il n’est pas parfait, mais il a une belle énergie et il s’affranchit de tout. C’est son plus grand mérite.

Pour le prochain, j’irai voir du côté des auteurs Gallmeister. Ça sera du polar mâtiné de Nature Writing avec des digressions à la Jim Harrison et à la MacGuane. La question centrale sera celle de l’identité et de la rédemption. C’est un projet ambitieux. Je ne sais pas si je vais survivre à ce livre. 😉

Alors heureusement qu’écrire permet de mourir par procuration pour pouvoir vivre réellement ! Comment vous est venue l’idée d’écrire Ma vie sera pire que la tienne ?

L’ennui. Je m’ennuyais dans ma vie (ça arrive !) et dans mes lectures (ça arrive aussi !!!). Aussi j’ai souhaité écrire un livre divertissant qui aborde des questions sérieuses comme le bien et le mal, une société qui part en sucette, l’amour impossible (je suis un grand romantique). J’ai voulu aussi jouer avec moi-même en passant d’un registre de langue à un autre, en maltraitant les genres, en distillant du lourd, du léger, du triste, du tragique, de l’humour. Enfin, j’étais animé par l’envie de dérouter le lecteur, mais sans toutefois le perdre. Bref, ce bouquin est une affaire de dosage.
Une esthétique Pulp dans la France profonde ardéchoise : vous semblez prendre votre inspiration à la fois dans la lecture et la vie…

L’esthétique Pulp (roman de gare à l’américaine remise au goût du jour par Tarantino dans ses films ou Charles Bukowski dans son dernier roman Pulp) est surtout présente dans la première partie. Ma vie sera pire que la tienne est avant tout un roman noir tragi-comique sur des marginaux qui se retrouvent embarqués dans des situations qui les dépassent. C’est l’histoire de loosers magnifiques !

« L’immoralité côtoie les beaux sentiments, l’esprit est rarement conformiste et les policiers sont aussi corrompus que les mafieux. Ce qui compte est l’action, la violence, l’angoisse, les états d’âme qui se traduisent par des gestes, la passion sans frein, la haine. Le tout débouchant sur de l’humour et une nuit blanche. » Cette phrase de Georges Duhamel, le créateur de la série noire, résume parfaitement mon cahier des charges pour Ma vie sera pire que la tienne.

J’y ai ajouté une règle supplémentaire : que cela finisse mal. En fait, je souhaitais apporter une dimension de tragédie grecque à mon histoire comme si le pire était inéluctable, et ce, malgré les actions de mes personnages qui ne déméritent pas pour essayer de s’en sortir. Je voulais faire écho aux discours dominants sur notre société dans lesquels le pire semble être inévitable et inéluctable. Du style : On va tous crever à cause du réchauffement climatique/d’une guerre/d’une maladie, et si ce n’est pas le cas, on va de toute façon tous s’entretuer parce qu’on ne se supporte plus les uns et les autres.

Somme toute, la vie, mais en pire… Quels rapports entretiennent pour vous fiction et réalité ?
La fiction est une interprétation de la réalité qui peut nous permettre de mieux nous comprendre et mieux comprendre le monde qui nous entoure. Les mots, des phrases ont un pouvoir magique. Parfois quelques lignes dans un roman nous font appréhender une situation, un vécu bien plus qu’un livre documentaire ou de grandes explications par un spécialiste. L’évocation est un des plus grands pouvoirs de l’écrivain. La fiction est aussi un miroir que l’auteur nous tend et l’on s’accroche à des vies, à des personnages qui ne sont pas nous-mêmes et qui pourtant nous parlent intérieurement. Un film ne fera jamais aussi cela. La littérature est une expérience de l’ordre de l’intime. Elle nous indique parfois par son exemplarité, sa proposition, le chemin à suivre. J’ai par exemple découvert le Montana par des auteurs de fiction et le Montana est devenu une réalité matérielle pour moi car je l’ai visité (et aimé passionnément) et une réalité artistique (mon prochain roman se déroulera dans ce magnifique État).

Vous avez le parti-pris de l’argot dans votre livre. L’utilisez-vous dans votre quotidien ? N’avez-vous pas craint de perdre certains lecteurs, savez-vous ce que vos lecteurs en pensent ?

J’utilise tous les registres de langue dans ma vie. La langue est une fête. Il faut la célébrer, l’utiliser, la respecter et parfois la tordre un peu. L’argot est essentiellement présent dans la première partie du livre, car il colle bien à l’esthétique Pulp de « Cloches célestes ». À mes yeux, il n’est pas qu’un simple artifice, il sert à incarner mon personnage principal qui est un vrai pied nickelé. Disons que les registres de langue participent au dispositif narratif. C’est un élément à part entière de l’histoire. C’est toujours un risque de proposer quelque chose de diffèrent aux lecteurs. Ils aiment. Parfois, non. L’écriture, c’est avant tout choisir. Le dosage peut être foireux et cela comporte un risque de déplaire. Je l’assume parfaitement.

Ma vie sera pire que la tienne est auto-édité, et pour vos deux premiers romans, vous avez été édité chez Storylab. Comment vous êtes venu à l’auto-édition, quels sont ses avantages et ses inconvénients par rapport à l’édition ?

Je suis venu à l’auto-édition car aucun éditeur en France et en Navarre n’a été intéressé par Ma vie sera pire que la tienne. Pour ma part, j’ai toujours cru à ce livre, à son originalité, à son énergie, à sa belle étoile (noire), donc je me suis improvisé auteur auto-édité. Je suis sans doute la personne la moins adaptée pour cela, car il faut être dégourdi, persévérant et enthousiaste. Je le suis, mais rarement les trois à la fois. Je me suis fait donc violence.

L’avantage est d’abord sur le contenu. C’est un geste artistique que maîtrise à 100 % l’auteur. C’est sans doute au final moins policé, propre, efficace qu’un roman édité, mais cela confère un indéniable caractère (de cochon) au livre à l’image de ma mascotte Disco Boy, le chien alcoolique et acariâtre, mais si attach(i)ant. D’autre part, la famille des autoédités est fabuleuse. De la bienveillance, de la générosité, des conseils avisés entre auteurs, jamais la grosse tête ; des groupes de lecteurs super sympas (big-up au Comptoir de la culture et à ses animateurs et abonnés), des lecteurs curieux et des chroniqueurs attentifs, respectueux ; des organisateurs de salon merveilleux. Être autoédité, c’est aussi bénéficier d’une bonne rémunération. Pour un e-book, l’auteur récupère 70 % du prix de vente avec Amazon, par exemple.

Les défauts : le reste. Les corrections, la mise en page, le marketing, la communication. Essayer de faire connaître son travail, ce n’est clairement pas la partie que je préfère. J’ai l’impression de tapiner un peu quand même. Cela demande aussi beaucoup de temps, d’énergie et franchement parler de moi (ce qui est inévitable) n’est pas mon activité préférée. Heureusement que j’ai un ambassadeur de choc avec Disco Boy.

C’est lui qui vous aide à être un peu moins inconnu ?

Oui, il est la mascotte du livre. Les lecteurs sont attachés à lui même si finalement il n’est pas si présent que ça dans le bouquin (comme quoi il n’est pas nécessaire d’en faire des tartines pour incarner un personnage). Tant mieux pour moi, car je n’ai pas vraiment de stratégie. Je propose mes livres à des chroniqueurs. J’ai eu de la chance. Avec mon dernier, j’ai eu de nombreuses chroniques. Des auteurs amis édités dans de belles maisons d’édition sont hallucinés par le nombre de papiers que j’ai eu. Je le suis aussi. Le bouche-à-oreille fait le reste. Je communique un peu sur mon mon mur Facebook, dans les groupes de lecteurs et puis je propose mon livre à des concours comme le vôtre. 😉

Il faut dire aussi que vous avez déjà obtenu plusieurs prix littéraires : le prix des lecteurs du livre numérique 2014 pour Chasse à l’épaulard, et pour Ma vie sera pire que la tienne, un prix dédié aux romans noirs dans l’auto-édition, le prix du balai de Diamant 2019. Qu’est-ce que cela change dans le parcours d’un auteur ?

J’ai aussi eu un prix pour ma nouvelle Mort à la carte. J’ai été lauréat en 2013 pour les Noires de Pau. Je dis cela juste pour me la péter. 😉 Plus sérieusement, les prix sont importants pour moi, car ils participent à une forme de reconnaissance. J’en ai besoin dans la mesure où je suis une personne qui doute. Il y a un an, j’ai failli arrêter l’écriture. Je trouvais cela trop exigeant pour un résultat si aléatoire et j’en avais marre d’aller démarcher des éditeurs et des librairies qui me refoulaient (toujours gentiment, je précise).

Pour revenir aux concours, c’est déjà dingue que des gens se penchent sur mes écrits, alors quand on gagne, c’est génial. Le Prix des lecteurs du livre numérique pour Chasse à l’épaulard m’a apporté de nombreux lecteurs (il s’est très bien vendu) tandis que le Prix du balai de diamant m’a apporté une meilleure visibilité dans le milieu des chroniqueurs/auteurs/lecteurs polardeux. C’est pour cela aussi que je l’ai proposé au Prix des Auteurs Inconnus pour le confronter à des chroniqueurs, à des passionnés. On m’a dit plusieurs fois que ce bouquin avait la qualité d’un bouquin édité. C’est une grande fierté pour moi et je suis largement redevable de quelques proches qui m’ont soutenu et aidé et que j’ai payé grassement en bouteilles d’alcool (c’est véridique !).

Avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ? Comptez-vous toujours écrire dans le même genre, ou envisagez-vous de vous essayer à d’autres genres ?

En 2019, j’ai écrit un recueil de nouvelles, Les marges intimes, qui aborde la thématique de la marginalité (surprise) et questionne sur les failles humaines, nos limites en tant qu’homme et femme et plus largement la déshumanisation du monde. Le traitement est à la fois sombre, décalé, tragique et parfois comique. Je l’ai proposé à des éditeurs. L’enthousiasme est bien évidemment à son firmament (LOL). Je suis très fier de ce recueil, en particulier de la nouvelle Les oubliés qui raconte l’histoire de John Yellowbird, un amérindien Lakota récemment amputé d’un bras à la suite d’un accident de travail, et qui est en quête d’une vie meilleure. C’est le meilleur truc que j’aie écrit. On verra bien si le recueil existera un jour pour les lecteurs. Je ne suis pas certain de le sortir tout de suite en autoédition. C’est du boulot et je me sens pas capable pour l’instant de relancer la machine.

Une de ces nouvelles va sortir chez Lamiroy, le 11 octobre. Elle aborde la thématique du sport. Elle s’intitule La roue tourne. Le pitch : « Pour David, un cycliste talentueux, mais malchanceux, la victoire lui échappe depuis belle lurette. Pourtant, au détour d’une course de prestige, il se retrouve en position favorable pour la gagne. Mais voilà, cela ne plaît pas à tout le monde. Gagner ou pas, telle est la question ! »

Je travaille actuellement à un polar qui lorgne vers la littérature blanche, le nature writing (Rick Bass, Pete Fromm), la littérature amérindienne (James Welch, Thomas King, Sherman Alexie, Louise Erdrich) et l’autofiction (dingue pour une personne qui n’aime pas parler d’elle). J’espère apporter une petite dimension poétique à l’ensemble (je suis définitivement fou et impubliable). L’histoire se passera dans les grands espaces américains dans lesquels les hommes doivent composer avec une nature belle, mais sacrément revêche. Pour l’instant, ça mature, ça infuse et ça fera peut-être un jour un livre. Ça prendra le temps que cela prendra. Peut-être que cela n’aboutira pas. C’est toute la difficulté de cette activité. C’est aussi tout son charme.

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